Né à Ahualulco (Etat de San Luis Potosi), Mexique, 1875. Son enfance fut un conte merveilleux : tout s’opposait à ce que ce jeune Indien, dans la plus extrême misère, puisse affirmer un don et poursuivre des études. Cela fut, cependant et on le retrouve violon solo de l’Orchestre de Leipzig, sous la direction de Nikisch, vers 1900. Il écrit là, en 1902, une première symphonie très influencée par Brahms. En 1911, il rencontre Debussy auquel il ne cessa de porter une véritable vénération. En 1917, en pleine révolution mexicaine, il lance sa propre révolution du Sonido 13.

En 1895, à la suite d’un cours d’acoustique, au Conservatoire de Mexico, il reprend sur son violon l’expérience de la division des cordes : l’épaisseur du doigt l’empêchant de poursuivre aussi loin que le veut sa curiosité insatiable, il s’empare de son couteau et pousse aussi loin qu’il le peut l’ascension de l’échelle des harmoniques : il arrive ainsi à détecter un intervalle de 1/16ème de ton.

Lors de sa venue en Europe (1899) il note : « Je rêve d’une gamme de 400 sons ». En 1917, il déclare « Toute fréquence est musicale ». C’est à cette époque qu’il construit diverses « harpes », dont celle de 1/16ème de ton et qu’il écrit des œuvres telles que Preludio a Colon (Christophe Colomb) pour cordes, flûte et voix en quarts de ton et harpe à 1/16ème de ton, pour la réalisation de laquelle il doit inventer un solfège nouveau. En 1927 il dresse les plans de 15 pianos à 1/3, 1/4, 1/5… 1/13, 1/14, 1/15, 1/16èmes de ton (pour chacun d’eux, fixation des tensions, longueur, grosseur des cordes ; cadre spécial ; mais clavier unique (celui du piano normal) : il est plus aisé de modifier l’interaction de l’œil et de l’oreille que de soumettre la main à l’apprentissage d’un nouveau clavier).

La série des 15 pianos ne put être construite qu’en 1958. Carrillo avait cependant, avant cette date, réalisé un exemplaire de celui en tiers de ton et de celui en 1/16ème de ton et il avait écrit un Concertino pour piano à tiers de ton et Balbuceos pour piano à 1/16èmes de ton qui furent créés à New York sous la direction de Leopold Stokowski.

Notons, chez Carrillo, sur plusieurs plans une situation ambiguë jusqu’en 1917, dans le temps même où il assimile, et avec quel brio, la technique musicale d’Occident, il ne cesse d’aiguiser son esprit critique vis-à-vis de la théorie sur laquelle reposait cette musique. En 1920, avec pour seul instrument d’analyse son oreille indienne, il va jusqu’à dénier la justesse du rapport (mathématique) 2 pour exprimer l’intervalle d’octave dans la résonance naturelle. Dès lors, pour lui, il n’y a plus de redoublement et tous les intervalles de l’échelle des harmoniques sont spécifiques et peuvent devenir source d’une infinité de musiques tempérées dont il est sage, dans un premier temps, de n’explorer que les subdivisions du ton, chaque tempérament nécessitant une facture instrumentale propre.

Autre ambiguité : toutes les inventions théoriques et musicales de Carrillo viennent prendre appui en des œuvres où transparaissent clairement la double influence de Brahms et de Debussy. Mais soudain, Carrillo transcende cette double influence : il a 80 ans et nous offre deux concertos de violon et surtout cette messe a cappella en quarts de ton dédiée à Jean XXIII, qui semble tendre la main aux Nuits de Xenakis.

Ivan Wyschnegradsky m’écrivit une très belle lettre, quelques jours après le décès de Julian Carrillo, qui se terminait ainsi : « Ce n’est qu’après la première guerre mondiale qu’apparurent des compositeurs ultrachromatiques en lesquels le compositeur et l’inventeur étaient alliés harmonieusement et pour qui le nouveau médium sonore était devenu médium musical naturel et non pas procédé spécial. C’est à cette catégorie de compositeurs qu’appartient Alois Haba, c’est à elle que j’appartiens moi-même. Tel fut également Carrillo. Mais il fut le premier à se « mettre en route » et, de ce fait, il doit être considéré comme le véritable précurseur de nous tous »

© Ircam-Centre Pompidou, 1970


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