Entre 2006 et 2009, je me suis consacré principalement à l'écriture orchestrale (Time Stretch, Finale, Concerto pour deux altos et orchestre) et à la notion de narration (plusieurs œuvres chorales, mon opéra L'Autre côté d'après Alfred Kubin, mon ballet Siddharta). Quand la philharmonie de Berlin m'a proposé de composer une pièce pour un effectif d'une quinzaine de musiciens sans argument dramaturgique précis, j'ai immédiatement saisi l'occasion de revenir à une forme plus spéculative, présumant qu'il y avait là l'occasion de faire évoluer mon langage, de tenter de nouvelles expériences. J'ai composé ce Concerto de chambre n° 1 alors que j'avais interrompu le travail sur mon second opéra (dont le livret s'inspire de la vie de la poétesse Anna Akhmatova), et j'ai ressenti l'absence d'un livret (ce que je n'avais pas connu depuis plus de deux ans) comme un obstacle infranchissable. Véritablement bloqué devant les pages blanches, j'ai alors réalisé que même dans le domaine de la « musique pure », j'avais besoin de considérer l'œuvre comme un parcours très logique, comme une évolution de « personnages musicaux » (selon la terminologie de Messiaen), identifiables et caractérisés, qui pouvaient marquer l'écoute par leur luxuriance, mais aussi par leur simplicité (ce qui est plutôt rare chez moi).
Quelques motifs très basiques ont émergé lors des nombreuses esquisses préparatoires : une gamme fusée, et un accord se transformant en un autre par des glissendi micro-tonaux. Afin d'unifier ces deux idées, je pensais à un explosion première, à un élément qui pourrait faire naître ces éléments, et j'ai décidé d'adjoindre à tous les instruments à vent une percussion résonnante, dont l'impact apparaîtrait comme le déclencheur de formules volubiles.
Mais c'est surtout sur le plan de la forme que j'ai tenté de renouveler mon langage. J'ai essayé, malgré une certaine énergie générale, de travailler sur la notion d'attente, comme si pour une fois dans mes partitions, les directions étaient moins linéaires, moins fondées sur la progression. Les éléments se contredisent plus qu'ils ne se déduisent, une texture très nouvelle apparaît à la moitié de l'œuvre (avec le déplacement d'un clarinettiste et d'un violoniste à deux endroits lointains sur la scène pour créer un jeu d'échos), et la fin laisse la part belle à la répétition de motifs obsessionnels, hachés de silence.
Finalement, ce Concerto de chambre n° 1 est sûrement ma pièce la moins « logique » et la plus troublante, dont l'équilibre naît de coups de théâtre permanents (je pense notamment à la cadence donnée par les deux jeux de cloches tubes, annonciatrice de la coda).
Bruno Mantovani, éditions Lemoine.