Été 2004, première rencontre avec Emmanuelle Huynh ; bien sûr, nous partons de nos préoccupations respectives et nous commençons par essayer de tracer des voies d'échange. Naît une connivence…
…se dégagent plusieurs idées : la question de la mémoire (celle de l'artiste ou la mémoire collective), de la trace et du recyclage, du double, du caractère organique des espaces scéniques, de la question du sens comme préalable à toute investigation…
Mémoire, Trace, Recyclage
Emmanuelle m'indique que ce solo se situera dix ans après Mua ; elle témoigne de son désir de parcourir le temps de ses propres œuvres, d'en extraire des traces, d'en revisiter les contours… Pour moi, chaque pièce que j'écris s'inscrit dans un processus de recyclage ; pas seulement en termes de logique d'avancement de l'écriture mais plus dans l'idée d'une matière qui connaîtrait une vie en dehors de l'œuvre, réapparaissant sous de nouveaux contours, comme en mutation permanente.
À l’automne 2004, je propose à Emmanuelle de réaliser des esquisses sonores à partir de mes anciennes œuvres, d'en extraire d’autres imaginaires, finalement de continuer le processus de transformation…
Scénographies sonores
Dans ma musique, la question de la scénographie occupe une place essentielle ; au-delà d'une approche « théâtralisée » de l'espace musical, le travail que j'opère sur les sons électroniques procède aussi de cette recherche. Certains sons, dans certains contextes, agissent bien au-delà de leurs capacités musicales ; ils véhiculent l'émergence de phénomènes référentiels venant structurer le discours à d'autres niveaux.
Été 2005, j’enregistre les sons que produit Emmanuelle en dansant. Je découvre ainsi son Mua, uniquement dans sa dimension sonore. Indépendamment de leurs qualités propres, les sons captés ici transmettent une double mémoire : celle de ce solo et celle de notre rencontre.
Présences
Il y a aussi cette histoire de boîte : de mes expériences précédentes dans le domaine des capteurs et de la volonté d’Emmanuelle de ne pas doter le corps de l’interprète de ces technologies émerge l’idée d’un objet transitionnel. Cette boite apparaît dans nos imaginaires dès l’automne 2004 et je propose aux équipes de l’Ircam de travailler sur le concept de « contenus virtuels ». C’est Emmanuel Fléty qui réalise l’objet et le dispositif d’analyse du mouvement et c’est Romain Kronenberg qui développe le moteur de production des sons. Nous cherchons ici à remplir cette boîte : pas simplement d'objets sonores mais d'une capacité à faire émerger du sens par le geste. Au final, sa forte connotation symbolique lui confère un état qui dépasse un simple outil de production. Elle devient une autre présence.
Croisements
Mars 2006, nous mettons en commun les recherches. Nous concevons un dispositif de spatialisation octophonique, entourant le public et à même de rendre possible des trajectoires. Les différentes sources sonores habitent ce cercle de haut-parleurs et entament entre elles des rapports croisés que nous voulons organiques.
Nous commençons d'habiter l'espace scénique, de placer à l'intérieur du cercle les sons, les gestes, les textes du dehors, de créer notre « dedans », un jeu de mémoires croisées qui veulent danser en partage.
Pierre Jodlowski.