Cet oratorio ouvre un nouveau cycle Le cycle du vent – après les Légendes et Le cycle du feu –, « quelque chose qui a un rapport avec l'invisible mouvement des choses », comme le dit le compositeur. Vertigo Apocalypsis (Vertige du dévoilement) se réfère à la notion de dévoilement du visage, du regard, selon une approche bien précise du musicien « les mains faces ouvertes à son matériau ». Philippe Schoeller a en effet multiplié les composantes musicales grâce à la technologie : ensemble orchestral et « trans-orchestre » (c'est-à-dire synthèse numérique), chœur réel et chœur alter ego qui est « plus qu'un double, l'invisible du chœur qui peut aller jusqu'à plusieurs centaines de voix, et qui rapproche cet impersonnel collectif mais aussi universel qu'est le on de la voix, le nous ». L’écriture du chœur affirme une action rituelle, à la fois dramatique, narrative et méditative, et si des textes issus (notamment) de l'Apocalypse de Saint-Jean, de l'Ethique de Spinoza forment, avec quelques textes originaux (en une langue inventée) la base de Vertigo Apocalypsis, « le mot, le verbe se plient aux sons ; comme la lumière déviée par la gravité ». En collaborant à l'Ircam avec Gilbert Nouno, le compositeur a développé un nouvel instrument, reposant sur un principe fractal de rayonnement. Au-delà des détails scientifiques, cette invention est très liée à la notion de flux : « Pour moi, la musique est flux : d'où la métaphore de Feuillages (1991-92) et encore pour Le cycle du Vent : il n'y a de perception musicale qu’à la condition de comprendre, de se représenter des flux simultanés. C'est peut-être pour retrouver l'origine de la polyphonie, de l'esprit polyphonique, son principe vivant : la capacité de l'esprit humain à saisir plusieurs réalités en même temps. L'instrument est donc pensé selon ce principe, mais d'une façon infiniment virtuose puisqu'on a la possibilité de gérer huit cents événements simultanés, distribués en seize flux et spatialisés par six spatialisateurs. »
Dans la nouvelle œuvre du compositeur – dont la partition porte en exergue la phrase « Tout doit mourir pour renaître » –, la dimension de naissance, d'ouverture, d'inauguration, d'éclosion même, s'associe à une « forme rituelle du temps », le rituel étant lui-même « régi par des lois très précises : répétition, anticipation, réminiscence ». Pourquoi une action rituelle ? Parce qu'on « se situe avec le corps vocal, et le corps vocal désubstantialisé que serait l'alter ego du chœur, dans une échelle qui n’est pas celle de l'incarnation mais du vivant, une échelle trans-instrumentale, où se joue le vecteur de l'instant en devenir. »
Les six « moments » successifs de Vertigo Apocalypsis, reflets d'un principe de rayonnement du matériau du musicien, ont aussi comme ambition de proposer une réflexion sur le dépassement, nécessaire aujourd'hui, de la technicité et des questions de moyens, un « message à la figure d'une époque ».
Pierre Michel.