Commande de Serge de Diaghilev pour les Ballets Russes à Paris ; conte dansé en 2 tableaux composé à Saint-Pétersbourg de novembre 1909 au 18 mai 1910 ; dédié à Andreï Rimsky-Korsakov ; création : 25 juin 1910, Paris, Ballets Russes, direction Pierné ; 1911 : suite tirée de l'Oiseau de Feu (orchestration à peu près analogue) ; 1919 : suite réalisée à Morges pour un plus petit orchestre ; 1945 : nouvelle suite tirée du ballet.
L'argument est de Fokine, également responsable de la chorégraphie. Cet argument est inspiré d'un conte oriental ; c'est en résumé l'histoire du Prince Ivan qui, ayant capturé l'oiseau de feu, lui rend sa liberté contre l'une de ses plumes. Il s'éprend ensuite de l'une des princesses enchantées qui sont dans le jardin de Kastcheï, le géant aux doigts verts. Il est fait prisonnier, mais l'oiseau de feu vole à son secours. Ivan s'empare de l'âme de Kastcheï préservée comme un œuf dans un coffret. Le géant meurt. Le palais s'écroule. Ivan s'enfuit avec la princesse. L'arrangement fait par Stravinsky en 1919 avait pour but de permettre à une formation plus réduite d'exécuter cette œuvre.
« L'Oiseau de Feu est l'œuvre qui nous apparaît maintenant inséparable de la célébrité naissante de Ballets Russes, et de Stravinsky. Le ballet fut exécuté pour la première fois à l'Opéra de Paris le 25 juin 1910, et le monde musical devait y être particulièrement attentif ; encore que les ballets qui suivirent, Petrouchka et le Sacre du Printemps, dépassèrent, chaque fois, comme on a l'habitude de le dire, toutes les prévisions des observateurs les plus attentifs ! Ces trois œuvres, que l'on peut comparer à trois bonds de danseurs, établirent « historiquement » la réputation et l'importance de Stravinsky dans la musique du XXe siècle. Si le Sacre du Printemps est certainement le bond le plus prodigieux des trois, il n'en reste pas moins que pour un coup d'essai, l'Oiseau de Feu fut un véritable coup de maître. Que l'influence de Rimsky-Korsakov, et spécialement du Coq d'Or, y soit apparente, on l'a dit et répété bien des fois ; ce qui n'empêche que cette œuvre affirme une originalité qui nous frappe davantage avec le recul. Il est impossible de ne pas y reconnaître la jeunesse d'un génie musical ; je crois que cette jeunesse, au contraire de ce qu'on a dit bien des fois, est l'aspect le plus fascinant de cette partition.
La maîtrise orchestrale s'y affirme avec une vigueur et une verdeur que je ne puis comparer qu'à celles de la Symphonie Fantastique de Berlioz (bien que je sache que Stravinsky n'aimait pas spécialement Berlioz... ). Je dirais volontiers que la modernité de l'orchestration du XIXe siècle s'est révélée dans la Symphonie Fantastique, de même qu'elle s'est révélée dans l'Oiseau de Feu. Une virtuosité innée s'y manifeste, commune aux deux compositeurs, et révélatrice de leur génie poétique.
Le style harmonique de Stravinsky apparaît irrémédiablement personnel dès la première page : dans un équilibre voltigeur, les intervalles se perchent d'une dominante à l'autre, si je puis emprunter cette comparaison au vocabulaire de l'oiseau. Il y a naturellement, des moments plus traditionnels ; mais jusque dans ceuxlà, la modalité, à résonance plus ou moins « exotique », donne une coloration très particulière qui n'est pas seulement russe, mais bien stravinskyenne. L'énergie rythmique de l'auteur et la construction si particulière de ses phrases nous y sont déjà proposées comme prémices des développements futurs qui devaient rénover catégoriquement la musique du XXe siècle. J'en veux pour preuve avec Le Prince Igor en filigrane la Danse infernale de Kastcheï. L'énergie, je dirai l'énergétique, de certains passages du Sacre s'y retrouvent immédiatement. Caractéristiques, par ailleurs, de l'agressivité rythmique sont les indications de mouvements comme Allegro feroce ou Allegro rapace.
Je vois en effet, dans l'Oiseau de Feu une espèce d'avidité à se saisir de la musique déjà existante pour la transmuter en un objet agressivement personnel. Cette virulence à se saisir de la musique pour bientôt transformer son visage et son apparence, cette jeunesse dans l'emprise sont extrêmement sensibles, d'autant plus sensibles que nous voyons très bien les précédents historiques qui ont donné naissance à la substance musicale. Nous sommes donc parfaitement en mesure d'apprécier la vivacité avec laquelle le ferment d'une pensée créatrice a entrepris son travail initial. »