Gerhard E. Winkler (1959)

Koma (1995)

for string quartet and electronics

electronic work, Ircam

  • General information
    • Composition date: 1995
    • Duration: 30 mn
    • Publisher: Inédit
    • Commission: Ircam-Centre Pompidou
    • Dedication: à Jean-Baptiste Barrière

Premiere information

  • Date: 17 February 1996
    Location:

    Paris, Ircam, Espace de projection


    Performers:

    le quatuor Arditti.

Information on the electronics
Studio information: Ircam
RIM (réalisateur(s) en informatique musicale): Serge Lemouton
Electronic device: dispositif électronique non spécifié

Program note

Depuis longtemps déjà, j'avais le projet d'écrire des œuvres virtuellement dotées de multiples potentialités de réalisation, des œuvres fluides, susceptibles de se transformer d'une exécution à l'autre. Le procédé ne consiste cependant pas à simplement intervertir des structures formelles. L'œuvre réagit bien plus, par le biais d'un réseau de relations étroitement imbriquées, à des modifications, des perturbations provenant de l'extérieur (des exécutants, des auditeurs, de l'environnement en général), sur la base de paramètres immanents au système. Les processus de transformation sont donc déterminés par la nature des relations intérieures de la pièce, celle-ci s'organise elle-même.On ne peut obtenir un tel résultat qu'en reliant l'ordinateur au processus d'exécution, ceci non seulement durant le processus de transformation sonore électronique live, mais également au sein des fonctions structurelles de contrôle et de commande. Dans KOMA, la Station d'informatique musicale de l'Ircam pilotée par un Power-Macintosh constitue la base de cet environnement complexe.

Ces fonctions de commande en temps réel régissent dans l'œuvre la position du son (transformé) dans l'espace, une multitude de variables inhérentes aux programmes de transformation du son, l'apparition — dans le temps et l'espace — des différents programmes de transformation, le changement des lumières et des couleurs, ainsi que l'élaboration en temps réel de la partition sur les écrans des musiciens. (Les interprètes jouent exclusivement à partir d'instructions inscrites sur des écrans d'ordinateur, il n'y a ni pupitre ni partition. Indépendamment de cette génération en temps réel, des scorefiles, parties solo pré-programmées, sont projetés de temps en temps sur l'écran de façon totalement imprévisible, pour les musiciens aussi, bien entendu. Les exécutants respectifs sont placés, ce faisant, sous le feu d'un projecteur de lumière, qui, d'en haut, les isole en tant que solistes).

Ces fonctions de contrôle et de commande reposent dans KOMA sur un modèle mathématique complexe, développé par le mathématicien français René Thom dans le cadre de sa théorie des catastrophes, et connu sous le nom de « modèle Butterfly ». Ce modèle permet de générer des événements discontinus à l'aide d'une fonction continue, de faire par exemple soudainement basculer un système d'un état donné vers un autre. Ces rebonds, Thom les désigne sous le terme de catastrophes. A ce rebond entre (en général deux) modalités ou états opposés, vient s'adjoindre, dans le cas du modèle Butterfly, la possibilité d'une sorte d'équilibre, d'une zone intérieure, flottant entre les domaines extrêmes, une sorte d'îlot évolutionnaire. On ne peut, quoi qu'il en soit, s'aventurer dans cette zone que dans des conditions très particulières, et non sans un certain danger, car l'on risque d'en ressortir à la moindre occasion.

Le devoir des musiciens est donc, dans KOMA, de ramener la sonorité de transformation vagabondant dans l'espace vers cette zone intérieure, et plus précisément vers elle-même : les interprètes sont assis au centre de la salle, les domaines extrêmes du Butterfly se situant sur les ailes gauche ou droite de la salle. Cette macro-projection du modèle Butterfly est explicitée par les jeux de lumières, qui plongent les domaines extrêmes dans le rouge, voire le bleu, lorsque le son y séjourne, ou symbolisent l'arrivée dans la zone intérieure par la couleur orange.Un seul exécutant à la fois, appelé leader, a la possibilité de diriger le cours de ce mouvement sonore directement par son jeu : au total trois paramètres de celui-ci sont détectés par l'ordinateur (glissandi de hauteurs sonores, variations de dynamique et composantes de couleurs sonores), et analysés en tant que données pilotes pour le réseau structurel des relations. Mais ce qui est primordial, c'est qu'à chaque position du son dans l'espace correspond précisément un état du modèle Butterfly, que la direction du leader influe tant sur le son, que sur les variables au sein du modèle mathématique. Ces modifications concernent les onze niveaux structurels contrôlés par les Butterflies (cinq modèles déterminent la transformation sonore, trois modèles les macro-paramètres, deux les micro-paramètres d'élaboration de la partition, et un Butterfly (principal) le mouvement sonore). Un réseau de catastrophes parcourt l'œuvre en permanence, les catastrophes de cinq niveaux sélectionnés étant également directement visualisées par les jeux de lumière des projecteurs.C'est durant la phase de déroulement de l'une de ces macro-catastrophes, au moment où la projection sonore rebondit d'un côté à l'autre de la salle, que le leader en place est déchu de son rôle au profit d'un autre musicien.KOMA est par conséquent une œuvre véritablement interactive, dans laquelle les musiciens ont la possibilité de déterminer le développement formel, tandis que les décisions qu'ils prennent sont instantanément répercutées dans la partition qu'ils doivent exécuter, et définissent la manière dont est transformé le son qu'ils produisent.

Les cinq programmes de transformation du son, qui font ainsi sans cesse l'objet de modifications, et se déforment et se métamorphosent comme les éléments d'un paysage sonore constamment soumis à un éclairage différent, sont principalement régis par divers types de filtres. Ici apparaît l'une des significations du titre, le coma, halo lumineux — produit par les vents solaires — qui entoure le noyau d'une comète. Dans ce cas précis, le noyau serait le quatuor à cordes et l'enveloppe la transformation live qui évolue dans l'espace (des soundfiles pré-programmés sont également déclenchés à des endroits particuliers de l'œuvre et prennent le relais de la caractéristique des filtres de l'électronique live ; ces soundfiles ont été transformés et synthétisés par les programmes AudioSculpt et Chant développés à l'Ircam). Le son live du quatuor à cordes est ainsi éclairé de l'intérieur, certains détails sonores étant parfois mis en valeur : 1) une série de filtres formantiques (filtres de Chant ou de modèles de résonance), 2) une série de filtres de résonance (avec au total dix oscillateurs sinusoïdaux sensibles), 3) un filtre de bande très étroit, qui, échantillonné, sert de point de départ à diverses bandes sonores, qui suivent un chemin en partie indépendant de celui principalement suivi par le son dans l'espace, 4) un deuxième échantillonneur combiné à une série variable de filtres, qui aboutit, par rééchantillonnage fréquent du résultat filtré (suivi d'un refiltrage), à un processus de décomposition en plusieurs étapes, 5) une unité de freezing, qui gèle les micro-événements sonores pour en faire un continuum sonore.

Mais koma signifie également en grec « sommeil profond », et cette métaphore renvoie à la problématique de la liberté illusoire des exécutants, lesquels, bien que libres de leurs mouvements à l'intérieur du réseau, restent toutefois constamment prisonniers de la toile environnante des relations et des structures. Si l'on considère l'œuvre dans son ensemble, elle peut, dans le même temps, apparaître plutôt comme un état que comme une forme se développant ouvertement. KOMA, œuvre de constants changements d'éclairage et projections sonores issus d'un noyau interne, constitue une toile vibrante de relations complexes.

Gerhard E. Winkler, programme du concert de création, le 17 février 1996, Ircam, Espace de projection.