Sur les Iles Galapagos (dans le Pacifique, au large de l'Equateur) vit en colonies serrées le fou à pattes bleues. En dehors du bleu acrylique de ses pattes, cet oiseau a une autre particularité : son chant consiste en une série harmonique flûtée, dont il égrène les composantes, à la manière d'un filtre qui balayerait un spectre harmonique, ou encore, d'un de ces tuyaux en plastique souple et crénelé que l'on fait tournoyer pour obtenir une sorte de vrombissement mélodieux. Le fou à pattes bleues est ainsi, à ma connaissance, le seul oiseau « spectral » de la création. Il m'a semblé nécessaire de rendre hommage à ce précurseur.
La flûte était l'instrument évident pour évoquer ces balayages harmoniques – qui se tranforment bien sûr en structures musicales moins élémentaires tout au long de la pièce. Le piano colore, ou encadre la flûte ; peut-être, en un autre clin d'œil – à Olivier Messiaen, bien sûr – rend-il quelques échos sonores des paysages où vit le fou à pattes bleues : îles désertiques, sauvages, volcaniques, mais aussi paradisiaques, car, protégées des intrusions des hommes, les animaux y vivent dans l'état d'innocence originelle.
A la période des amours, le fou se dandine drôlement et bat des ailes pour attirer l'attention des femelles ; ses attitudes comiques et maladroites démentent la délicatesse de son chant, mais lui valent une grande popularité auprès des touristes. La femelle se contente de couver le fruit de ces débauches, émettant de temps à autre un son de klaxon dissuasif ; c'est la seule excuse à ces quelques sons multiphoniques, ces petits coups de bec, qui déparent le discours autrement fluide et mélodieux de la flûte...
La pièce est écrite pour Dominique My et Patrice Bocquillon, et à la mémoire d'Olivier Messiaen.
Tristan Murail, éditions Lemoine.