Mes Variations pour orchestre furent écrites pour l'orchestre de Louisville au cours de l'année 1955, à partir d'esquisses datant de 1953 et 1954.
Le projet d'écrire une telle œuvre m'intéressait depuis un bon moment, car j'étais impatient de traduire en termes musicaux concrets plusieurs idées que j'avais à propos de cette forme ancienne. Traditionnellement, bien sûr, ce genre de composition est basé sur un thème ou une succession d'harmonies à partir desquels sont construites plusieurs sections musicales courtes et contrastées. Le thème et chaque petite section forment des vignettes musicales qui présentent habituellement un seul caractère, ou une seule atmosphère, immuables, et souvent une seule idée ou technique musicales. Considéré comme une série de pièces séparées au caractère nettement défini, un ensemble de variations musicales ressemble à certaines œuvres littéraires anciennes comme le recueil de courts et incisifs délinéations des Caractères éthiques de Théophraste maintenus ensemble par une idée ou un but communs. Un tel ensemble exprime implicitement l'attitude classique face au problème de « l'unité dans la diversité ».
Dans cette œuvre, j'étais intéressé par l'adoption d'une approche plus dynamique et plus mobile. Les caractéristiques générales de la forme sont maintenues : la diversité des caractères dérive d'un certain type de matériau, mais le principe de la variation est souvent appliqué à l'intérieur même de chaque petite pièce. Dans certaines, apparaissent de grands changements de thème et de caractère ; dans d'autres, des thèmes et des caractères contrastés se répondent alternativement ou sont entendus simultanément. J'ai essayé, par de tels moyens, de donner une expression musicale à des expériences auxquelles toute personne vivant aujourd'hui est confrontée : il existe de nombreux exemples remarquables de changements inattendus et de relations de caractère, dévoilés dans la sphère humaine par les psychologues et les romanciers, ou dans la vie des insectes et de certains animaux marins par les biologistes — en fait dans chaque domaine de la science et de l'art. Ainsi, la vieille notion d' « unité dans la diversité » se présente à nous d'une manière entièrement différente que pour des gens qui ont vécu même peu de temps auparavant.
Musicalement, l'œuvre est basée sur trois idées. Les deux premières, des ritournelles, sont répétées littéralement à travers l'œuvre, transposées du point de vue des hauteurs et du tempo, tandis que la troisième est un thème qui subit de nombreuses transformations. Des deux ritournelles, la première apparaît rapidement après l'ouverture et devient progressivement plus lente à chaque nouvelle exposition (variations 1, Ill, VIII, et finale). Le matériau du thème principal est utilisé de nombreuses façons différentes, et il est fréquemment fait référence à son motif caractéristique. Le plan d'ensemble consiste en une présentation de degrés contrastés de caractères et de leur neutralisation graduelle au cours des quatre premières variations. Dans la cinquième variation, le contraste est réduit au minimum, et à partir de là, il y a une croissance de définition et de conflit de caractères jusqu'à ce que, dans le finale, l'exposition des notes du thème par les trombones rétablisse l'unité. Chaque variation a sa propre forme, puisque, en tant que mode de comportement musical, la forme contribue aussi à définir un caractère. Par exemple, la première variation et le finale sont tous deux des dialogues rapides de plusieurs motifs contrastés dans des rythmes contrastés. La seconde variation présente un contraste de caractère en citant le thème presque littéralement et en le confrontant avec ses propres variantes, dérivées alternativement par une expansion et une diminution des intervalles. La troisième variation fait contraster des textures d'harmonie dense et de lignes expressives avec des motifs fragmentaires transparents. La quatrième variation est un ritardendo continu, et la sixième une série d'imitations qui va s'accélérant. La cinquième fait disparaître le contraste dans une succession d'accords utilisant les notes du thème. La septième est une variation de style antiphonal qui présente trois idées différentes jouées successivement par les cordes, les cuivres et les vents, et représentant trois plans rythmiques différents. La ligne jouée par les instruments à vent dans la septième variation est continuée et développée dans la huitième variation, tandis que des idées de nature musicale beaucoup plus légère lui sont opposées. La même idée est transportée dans la neuvième variation, où elle est rejointe par les deux autres idées de la septième variation, qui sont maintenant jouées simultanément. Le finale joue sur la succession rapide des différents caractères, finalement rappelés à l'ordre par le trombone qui réexpose les notes de la première moitié du thème tandis que les cordes jouent doucement celles de la seconde moitié.
Le détail de l'orchestration, ainsi que l'écriture orchestrale dans son ensemble ont été conçus en tenant compte des caractéristiques de l'Orchestre de Louisville, avec son nombre limité d'instruments à cordes, bien que l'œuvre puisse, bien sûr, être jouée par un orchestre symphonique de taille habituelle.
Elliott Carter, note de programme du Festival Archipel, Genève, 24 mars 1992.