<h3><em><< REW</em><br />(Vers une utopie du renoncement)</h3><h4>Le point de vue d’Hervé Robbe</h4><p><em><< REW</em>, c’est avant tout une abréviation, un sigle qui nous permet, par un simple geste, de remonter le cours des choses inscrites sur les spirales des bandes magnétiques. Cette plasticité du temps et ses possibles distorsions ont largement nourri l’imaginaire de la pièce chorégraphique, <em><< REW.</em> Celle-ci met en scène un homme et une femme, dont la présence et la relation s’organisent autour du thème du renoncement au corps et de sa figure ultime : le suicide. Comme une bande magnétique qui serait construite sur trois pistes simultanées, <em><< REW</em> convoque la danse, la musique et la vidéo et combine leurs récits singuliers pour interroger l’état, la perdition et l’immatérialité d’un corps qui renonce, mais aussi pour figurer plusieurs situations archétypales du passage à l’acte suicidaire. C’est au travers des multiples agencements de ces récits, des écarts énigmatiques qu’ils suscitent, de leurs obsessionnelles répétitions, de leurs mutations et d’une ultime accélération, que s’articule la dramaturgie. Cette dialectique de l’événement qui utilise les nouvelles technologies dans la conception musicale et vidéo réinvestit la typologie du chorégraphique. Elle contextualise le geste dans de multiples environnements aux particularismes plastiques et esthétiques. Elle invente ainsi une polysémie de la mise en acte et déploie ses stratégies créatives et poétiques, pour suggérer étrangement, une utopie de la résistance face au renoncement.</p><h4>Le point de vue d’Andrea Cera</h4><p>Un des nombreux paradigmes qui règlent ma collaboration avec Hervé Robbe est celui d'une sorte de « contrepoint », comme si musique et danse étaient générées par une même force polycentrique en circulation dans un espace. Pour moi, l'expression de cette symbiose passe par le choix d'observer, étudier, imiter et finalement utiliser indépendamment les mêmes formes d'énergie déployées dans le temps par la danse. Pendant la création de <em><i><a href="/work/permis-de-construire-avis-de-demolition">Permis de construire - Avis de démolition</a></i></em> (2000), j'ai travaillé à partir d'une « transcription » que j'ai réalisée moi-même à partir d'une séquence de danse filmée. Mes analyses des bandes-vidéos cherchaient à trouver le rythme interne des séquences dansées, à visualiser des unités temporelles, à isoler les mouvements plus évidents à mon œil, les flux d'énergie ; une sorte de notation, plutôt personnelle. La transcription de cette analyse était une échelle temporelle sur laquelle je marquais des points-clé, des courbes, avec une résolution plus ou moins large, suivant le type de danse analysée. Ensuite, je tournais le dos à la vidéo et j'utilisais cette échelle temporelle comme « cantus firmus » pour construire un épisode musical le plus cohérent possible, et en même temps caractérisé par une certaine parenté avec l'épisode dansé. L'asymétrie de certains mouvements, les secrets de l'équilibre, le poids du corps et la force nécessaire pour le mettre en mouvement, l'inertie, la fatigue, m'ont permis de découvrir des formes musicales que peut-être je n'aurais jamais trouvé. Pour la première étape de la création de <em><< REW</em> (2003), j'ai décidé de poursuivre mon approche de l'analyse du mouvement comme processus de composition, mais cette fois en ayant recours à un outil informatique. Une caméra et un ordinateur regardaient le danseur à ma place. A l'autre bout de la chaîne, un ordinateur était prêt à produire du son. Mon intervention de compositeur se limitait alors à réaliser le design des modules de synthèse et à décider comment l'analyse du mouvement (faite par EyesWeb) devait entrer en relation avec ces modules. Transférer le geste dansé directement dans le flux audio en cherchant d'avoir la moindre interférence possible de ma part. Tout ça se faisait en temps différé, dans le studio de danse. Dans une deuxième étape, j'ai observé les matériaux sonores ainsi générés, je les ai étudiés, segmentés, recomposés, superposés, encore une fois à la recherche d'un état d'équilibre entre littéralité, fidélité au geste d'origine, et la nécessaire altérité de l'action musicale.</p><p><em>Andrea Cera.</em></p><p><strong>Travail sur le corps</strong><br />Dans ce projet, pour avoir le minimum d’interférence « culturelle » possible, j’ai expérimenté l’utilisation des capteurs de tension musculaire et de pression pour aboutir à une description informatique des lignes de force qui traversent le corps dansant. Ensuite, j’ai trouvé une façon d’utiliser cette description informatique dans un langage musical. Je pense à l’idée de « somatème » chez Roland Barthes : un événement musical dont l’écoute renvoie directement à un mouvement physique sans aucune relation nécessaire au système grammatical utilisé.</p><p><strong>Travail sur la voix</strong><br />J’ai recherché une voix au « grain » très évident ; s’en est suivi un travail d’enregistrement, d’analyse et de transformation. J’ai trouvé une voix dont on puisse entendre le souffle, la gorge, l’effort de chanter, le corps qui chante. J’ai imaginé les voix des chanteurs grunge (Kurt Cobain et Layne Staley surtout) ou la voix de Chet Baker. </p><p><strong>Travail sur le temps</strong><br />Chaque « question dansée » sur le renoncement a forcément un temps spécifique, une durée et des rythmes liés à la qualité du mouvement, qui doivent être étudié et respectés dans le développement musical, soit en faisant un « contrepoint », soit en construisant des événements en contraste. L’image vidéo a dégagé d’autres interactions avec le son, suivant une autre logique temporelle, différente de celle du corps et liée plutôt aux fonctions d’analyse du champ visuel. Finalement, l’enveloppe spatiale suggère une autre fonction de la musique, plutôt « atemporelle », un peu dans le même esprit que l’utilisation des lumières. Voici donc trois façons de penser le temps qui est en interaction dans le travail de composition musicale.</p><p><em>Andrea Cera.</em></p><p> </p>