Écrite à New-York en 1951 et dédiée au pianiste américain ami de John Cage, David Tudor, la Music of Changes est constituée d'une suite de quatre pièces pour piano d'une durée totale de 43 minutes environ. Pour composer cette œuvre, Cage s'est inspiré des deux volumes du I Ching, un célèbre recueil d'oracles de l'ancienne Chine ; le titre de la traduction anglaise de ce « Livre des Mutations », The Book of Changes, explique en partie le titre donné par le compositeur à cette série de quatre pièces.
La structure formelle, la méthode de composition, le choix du matériau musical (hauteurs, durées, tempi etc...), tous ces éléments de l'œuvre ont été déterminés sur la base d'un tirage au sort effectué à l'aide d'opérations de hasard inspirés du I Ching. C'est donc au niveau du processus même de la composition et de la structuration de l'ouvrage que le hasard et l'indétermination sont intervenus comme facteurs décisifs. En particulier, la structure et la durée de l'œuvre, prises aussi bien dans leur totalité que dans le détail de chacun de leurs éléments constitutifs, dépendaient directement de tirages au sort dont le résultat était naturellement imprévisible ; c'est pourquoi, nous dit le compositeur, « il était impossible de connaître la durée totale de la pièce jusqu'à l'opération de hasard finale, le dernier pile ou face affectant la proportion du tempo. »
Si le hasard a ainsi joué un rôle déterminant au niveau de la composition même de l'œuvre, en revanche, une fois l'œuvre composée, il n'intervient plus du tout au niveau de l'exécution. La partition est très rigoureusement écrite, avec une notation de la plus extrême précision, aussi bien sur le plan des hauteurs que sur celui des durées, des intensités et des modes d'attaque et d'entretien du son. Toutefois, l'excès de rigueur et de précision pouvant parfois aboutir à certaines obscurités, John Cage prend soin de signaler que « l'on trouvera peut-être en différents endroits que la notation est irrationnelle ; dans de tels cas, l'exécutant devra user de son pouvoir discrétionnaire ». C'est là la seule concession, au demeurant fort minime, consentie par le compositeur à une certaine souplesse de l'interprétation.
Francis Bayer, programme du concert de l'Ensemble intercontemporain au Centre G. Pompidou, 24 juin 1982