Le Concerto de chambre pour piano, violon et treize instruments à vent d'Alban Berg fut composé en 1923-1924, soit durant la période qui suit l'achèvement de l'opéra Wozzeck qui ne sera d'ailleurs créé qu'en 1925. C'est une époque heureuse pour Berg qui prend définitivement conscience de son génie et commence à être relativement reconnu par le public viennois.
Ce Concerto est en outre un témoignage de l'indéfectible amitié qui le lie à Schoenberg (à qui l'œuvre est dédiée à l'occasion de son cinquantième anniversaire) et à Anton Webern. Leurs trois noms sont d'ailleurs placés en exergue du premier mouvement, sous leur forme musicale (suivant la notation alphabétique en usage en Allemagne). Ainsi ArnolD SCHoenBErG est représenté par : La-Ré-Mi bémol-Do-Si-Si bémol-Mi bécarre-Sol ; Anton wEBErn par La-Mi-Si bémol-Mi ; et le prénom de Berg, AlBAn, par La-Si bémol-La. Le chiffre trois joue également un grand rôle dans l'œuvre.
On retrouvera cette mise en musique d'éléments d'ordre affectif dans l'autre œuvre de cette période, la Suite lyrique pour quatuor à cordes, qui reprendra également la structure en arche du mouvement central du Concerto, forme qui est à rapprocher (à l'instar des artifices contrapuntiques du premier mouvement, tels que rétrogradations et renversements) de la technique dodécaphonique que Schoenberg vient de mettre définitivement au point avec sa Suite pour piano, opus 25. Il convient enfin de noter que, comme souvent chez Berg, les contraintes formelles qu'il s'impose ne font qu'attiser l'expressivité bouillonnante du discours musical que sert également une grande science instrumentale.
Le premier mouvement, Thema scherzoso con variazioni, est, on l'a vu, précédé de la présentation des noms des trois compositeurs aux instruments solistes (piano pour Schoenberg et violon pour Webern) et au cor (Berg), motifs que l'on retrouvera tout au long de l'œuvre. Le mouvement proprement dit, où le violon est pour ainsi dire absent, s'ouvre sur un motif de quatre notes du cor anglais, qui sont précisément le complément chromatique du motif « Schoenberg » qui les suit, et avec lequel elles forment donc le premier thème, de douze sons, hommage explicite à l'« inventeur » du dodécaphonisme. La première variation est confiée au seul piano, absent du thème. Elle est par ailleurs si proche de l'original qu'on peut presque la considérer comme une nouvelle exposition de celui-ci. La deuxième variation, au rythme de valse, utilise le matériau initial sous sa forme rétrogradée, cependant que la troisième le traite en renversement. La quatrième, très rapide, fondée sur le renversement rétrograde, est parcourue par un mouvement de doubles croches qui va se muer en un trille du piano qui ouvrira la cinquième variation. Celle-ci retrouve la forme originale des divers éléments du thème, ce qui en fait, en quelque sorte, une réexposition variée.
Le deuxième mouvement, Adagio, enchaîne sans transition et le violon semble surgir du dernier accord du premier mouvement. Ce deuxième mouvement, dont le piano est à son tour absent, est une longue cantilène très expressive du violon, dont la belle écriture anticipe sur celle du Concerto pour violon de dix ans postérieur (il faut rappeler que l'année même de la composition du Concerto, Berg transcrira ce mouvement pour violon, piano et clarinette). Le do extrême grave du piano (dont c'est la seule apparition), symboliquement répété douze fois, constitue le centre d'une arche dont les éléments de la première section sont repris dans la seconde en sens inverse.
Le troisième mouvement, Rondo ritmico con introduzione, réunit enfin l'effectif au complet. Ces « retrouvailles » des deux solistes donnent lieu à une introduction en duo en forme de « cadence », que l'on pourrait à juste titre considérer comme une nouvelle variation du thème du mouvement initial. Le Rondo puise à son tour dans les deux mouvements précédents avant de conclure par une coda, qui s'achève sur la disparition progressive, au violon, du thème initial du deuxième mouvement.
d'après Jacques-Marie Lonchampt.