Voici sans doute le premier duo pour un seul pianiste : la seconde partie est jouée, sur le même piano - un piano acoustique, avec touches, feutres et marteaux – par un ordinateur qui suit le jeu du pianiste. Il faut pour cela un piano spécial – ici un Yamaha Disklavier – équipé d'entrées et de sorties Midi. Sur ce piano, chaque note peut être jouée du clavier, mais aussi déclenchée par des signaux électriques qui commandent des moteurs pouvant abaisser ou relâcher les touches. Chaque fois qu'une touche est jouée, elle envoie un signal indiquant quand et à quelle intensité. Les signaux suivent la norme Midi utilisée pour les synthétiseurs. Un ordinateur Macintosh reçoit cette information et renvoie les signaux appropriés pour faire jouer le piano. Le programme établi sur l'ordinateur détermine de quelle façon la partie de l'ordinateur dépend de ce que joue le pianiste.
Avec ces Huit esquisses, j'ai voulu explorer divers modes de relation temps réel entre le pianiste et l'ordinateur.
Double. Le pianiste joue seul, puis à la reprise de l'ordinateur ajoute des ornements. Ces ornements pré-enregistrés interviennent quand le pianiste joue certaines notes ; leur tempo peut être influencé par le tempo du pianiste.
Miroirs. À chaque note jouée par le pianiste répond la note symétrique par rapport à une certaine note du clavier – un procédé utilisé dans la seconde Variation opus 27 de Webern, citée au début (et aussi à la fin, à l'écrevisse). Les centres de symétrie et les retards de réponse sont variés au cours de la pièce.
Extensions. Aux arpèges joués par le pianiste, l'ordinateur joue des arpèges transposés.
Fractals. À chaque note jouée, l'ordinateur ajoute cinq notes espacées d'une octave altérée. Alors les mélodies jouées par le pianiste sont étrangement distordues : une montée d'une octave est perçu comme une descente d'un demi-ton.
Agrandissements. Comme dans Extensions, I'ordinateur ajoute des notes, cependant les intervalles ne sont pas transposés, mais agrandis dans des rapports allant de 1,3 à 2,7 ; ce qui amplifie mélodies et harmonies.
Métronomes. Au début, l'ordinateur répond en canon, sur des hauteurs transposées et à des tempos plus rapides. Puis il joue simultanément plusieurs séquences à des tempos différents. Enfin il répète les mêmes hauteurs, mais encore à des tempos métonymiques différents, soit établis à l'avance soit décidés par le pianiste.
Up-down. Des arpèges d'octaves altérées sont déclenchés par le pianiste, qui voit ses notes proliférer. Le tempo des arpèges est établi d'abord par le tempo du pianiste puis par la note qu'il joue ; enfin par l'intensité du jeu.
Résonances. Au début et à la fin, l'ordinateur tient de longs accords. Dans la section médiane, le pianiste joue des accords muets : les cordes sont mises en résonance par les séquences jouées par l'ordinateur.
J'ai réalisée duo pour un pianiste en 1989, alors que j'étais compositeur en résidence au M.l.T. (Groupe « Music and Cognition », Media Laboratory), avec l'aide du Massachusetts Council of the Arts. Le programme temps réel utilisé est Max, un puissant environnement graphique de programmation en temps réel écrit par Miller Puckette à l'lrcam et au M.l.T. J'ai bénéficié de l'assistance précieuse de Scott Van Duyn.
Jean-Claude Risset.