Dans les pièces de l'opus 10, la tonalité n'existe plus ; ce n'est plus elle qui organisera le langage et la structure de l'œuvre ; face aux difficultés nouvellement surgies, Webern s'en tient aux formes extrêmement brèves, où tout est essentiel, d'où est exclue toute répétition, même ce que l'on pourrait appeler les répétitions de timbre.
Pierre Boulez, programme du Festival d'Automne à Paris, 1980.
Dans les Cinq pièces pour orchestre, op. 10, Anton Webern s’applique à obtenir de petites formes musicales concentrées et adhère au principe de variation perpétuelle. Avec la technique de la « mélodie de timbres » (klangfarbenmelodie) héritée de Schoenberg, Webern regroupe des solistes pour chaque famille d’instruments de l’orchestre en y incluant des timbres aussi étrangers à l’orchestre traditionnel que ceux de la guitare, de la mandoline ou du xylophone.
Comme d’autres compositeurs avant lui, Anton Webern a donné un titre à chacune de ses Cinq pièces : Image Originelle, Transmutation, Retour, Souvenir, Âme. Cependant, selon son biographe Willi Reich, le compositeur « n’a pas souhaité donner des explications sur les idées musicales de ses pièces, mais simplement indiquer son climat intérieur au moment où il les écrivit ». Ainsi, les titres ne sont pas mentionnés sur la partition publiée.
- Pièce n° 1 : Sehr ruhig und zart (très calme et délicat). Jamais plus intense qu’un pianissimo, la première pièce se développe à partir des notes individuelles de la trompette, de la harpe, du célesta, de la flûte, de l’alto, du glockenspiel et de la clarinette (tous avec sourdine).
- Pièce n° 2 : Lebhaft und zart bewegt (vif et animé délicatement). Un mouvement bondissant est initié tout d’abord par le violon, la clarinette en mi bémol et le hautbois, et prolongé par la clarinette en si bémol, l’alto, et le trombone avec sourdine. Viennent ensuite un contrepoint de la trompette, du piccolo, et des cordes jouant col legno, ainsi que de subtils chuchotements des cymbales et du triangle. Vers la fin de la pièce, le cor et la trompette (tous deux avec sourdine) se lancent dans un fortissimo et, rejoints par les bois, lancent, à son apogée, une puissante phrase musicale.
- Pièce n° 3 : Sehr langsam und äusserst ruhig (très lentement et extrêmement calme). Unléger frémissement, presque subliminal, est insufflé par des trémolos de la mandoline, de la guitare, du célesta, de la harpe et des cloches, sur lequel émergent les voix individuelles du violon, du cor, de la clarinette, des cordes graves et du trombone. La musique se déploie paisiblement et se conclut dans le silence.
- Pièce n° 4 : Fliessend, äusserst zart (fluide, extrêmement délicat). Tenir compte uniquement de l’extrême brièveté de cette pièce (six mesures), c’est douter de son bien fondé musical. Or, l’imagination, l’esprit et la conviction d’Anton Webern lui attribuent une qualité incroyable, presque mystique, qui place la musique bien au-delà du jugement conventionnel. La mandoline, la trompette avec sourdine, et le violon interprètent les seuls rôles « mélodiques » de cette phrase musicale quasiment infime.
- Pièce n° 5 : Sehr fliessend (très fluide). En comparaison au bref énoncé qui la précède, la cinquième pièce se présente comme une véritable dissertation. Anton Webern y met en œuvre l’effectif complet de l’ensemble et développe le matériau d’ouverture, paisible et serein, jusqu’à un point culminant après lequel l’énergie musicale se dissipe comme les étincelles incandescentes d’une fusée dans le ciel.