Après avoir travaillé sur différents modes interactifs possibles entre le monde instrumental et celui des nouvelles technologies informatiques, la question de la voix devait nécessairement se poser à moi. La voix n'est pas un instrument à proprement parler ; en effet, sa production sonore ne dépend pas de mécanismes artificiels. Il s'agit donc, dans le cas présent, de capter un signal sonore – extrêmement complexe et variable – et de le synchroniser avec un ordinateur. Le signal sonore en question dépasse en complexité ce que nous connaissions avec le monde instrumental. Une voix produit des hauteurs, mais aussi des phonèmes, des bruits, une variabilité de spectre très mouvante. Nous sommes conscients que nous en sommes au début des recherches et que de nombreux progrès restent à accomplir.
Dans certains cas, le but consiste à pouvoir synchroniser le processeur sur une simple voix parlée, faisant fi de toute connotation de hauteur musicale, dans d'autres, de détecter certains traits caractéristiques (tels que les fricatives ou sons bruités) de l'émission vocale, dans d'autres encore, c'est la mélodie qui se trouve au centre de l'intérêt, etc. Les différentes catégories sont tour à tour sollicitées pour établir une relation sensible entre la voix et la machine. C'est cette polyphonie de comportements qu'il nous importe de détecter.
La synchronisation est la première étape, mais la captation de phénomènes complexes, tels que la variation de formes spectrales, la reconnaissance de phonèmes ou de quelques microstructures, que ce soit en vue d'établir des réseaux de contrôle sur un dispositif de synthèse ou de traitement du signal, est l'étape ultime vers laquelle nous tendons. Le matériau musical est exclusivement composé de sons de synthèse, d'échantillons vocaux et de transformations en temps réel de la voix soliste.
Je n'ai jamais séparé l'expérimentation de mon travail de composition. Dans ce cas précis, l'expérimentation est même la règle. Plutôt que d'utiliser des textes déjà écrits et achevés, l'idée d'une collaboration active avec un écrivain m'a semblé plus fructueuse. C'est dans cet esprit qu'Emmanuel Hocquart et moi-même avons envisagé notre travail.
Les textes qu'il me fournit sont un matériau poétique que je travaille en fonction des impératifs qui me guident dans la composition. Si toutes les phrases sont bien d'Emmanuel Hocquart, le texte dans la version actuelle est un choix dans un materiau plus vaste. Le travail sur un texte peut donner naissance à de nouvelles idées comme l'écoute du matériau chanté peut influencer l'écriture de textes à venir. Rien n'a été défini, a priori, si ce n'est que tous les textes doivent avoir une thématique générale qui met en situation une relation érotique.
Philippe Manoury, Les Cahiers de l'Ircam, coll. Compositeurs d'Aujourd'hui n° 8, Paris, 1995.