Ces dernières années, mes recherches se sont concentrées sur la possibilité de rendre visible et palpable la nature abstraite du son, ce qui passe par un soin particulier porté à la gestualité des interprètes. Le pouvoir expressif du geste permet au son d’être vu, en plus d’être entendu, et la présence physique concrète des instruments de musique y gagne une forte valeur symbolique, qui n’est pas sans rappeler celle des natures mortes de la peinture classique : une présence qui suggère l’hypothétique capacité de l’homme à se survivre à lui-même par le biais de l’art. J’ai composé A landscape in my hands pour Anna D’Errico, une musicienne hors du commun, qui s’est révélée une interlocutrice d’une rare sensibilité. Dans cette pièce, l’exploration de la matière même dont est fait l’instrument a été déterminante dans la création d’une partition qui s’apparente à une image sonore, très fortement liée aux différents modes de production sonore. La gestuelle de l’interprète fut une foisonnante source d’inspiration, et son observation attentive m’a permis d’inventer un vocabulaire qui est à la fois proche de ce que j’avais en tête, et riche d’implications sémantiques susceptibles de capter le regard autant que l’oreille du spectateur. Le son devient « tangible » grâce à la performance de l’artiste qui, de ses gestes, module la silhouette et les nuances d’un matériau vivant. Les différentes modalités de production sonore mettent toutes l’accent sur les textures rugueuses et râpeuses d’une matière en perpétuel questionnement d’elle-même. Au fil du discours, il devient possible de reconnaître les métamorphoses successives des fragments de départ, brefs et obsessionnels, et d’observer la suite de ses états d’existence – ses différentes révélations éventuelles glissant graduellement des cordes au clavier. En écoutant la pièce, le son bien connu de l’instrument, tel qu’il est imprimé dans notre mémoire collective, pourra paraître inhabituel. Mais l’intention est précisément de créer un instrument au service de ma pensée compositionnelle du moment et qui, pour paraphraser Helmut Lachenmann, pourra être « original », en étant profondément ancré dans les racines de la personne qui le produit.
Daniela Terranova, note de programme du concert du 5 octobre 2018 à l'Institut culturel italien de Paris