Dans son Ultimatum de 1917, Fernando Pessoa jugeait l’Europe avec une violence inouïe, accusant le pouvoir (politique, bourgeois, industriel) d’avoir mené le monde à un état de profond délabrement… Cette parole prophétique pourrait avoir été écrite aujourd’hui, tant nous traversons une période troublée où les valeurs morales et éthiques sont bousculées chaque jour, où les spectres de l’obscurantisme sont un peu plus présents dans une Europe qui peine à trouver sa cohérence, son identité, sa force. Quoi de plus évident quand on sait que notre Europe contemporaine s’est avant tout construite sur des bases économiques laissant de côté ce qui pourtant en fait sa richesse intrinsèque : sa formidable pluralité de cultures, de langues, de couleurs, d’Histoires, de paroles… Sommes-nous ainsi devenus aveugles ?
À l’heure où des familles syriennes agonisent dans les cales de bateaux vétustes entre les mains de réseaux corrompus nous continuons paisiblement de nous laisser abreuver de flots audiovisuels d’une totale vacuité. Nous continuons de vivre en extase tranquille les prouesses des stars dopés du milieu sportif, les performances des grands chanteurs d’opéra ou des grands chefs d’orchestre, des pseudo-artistes de la télé-réalité… Ceux-ci empochant sous nos yeux fatigués des salaires qui dépassent le plus simple entendement au détriment des groupuscules moribonds de ce que nous appelions les artistes. Lorsque j’ai rencontré les adolescents participant au Grand Prix Lycéen des Compositeurs j’ai été frappé par leur immense besoin de repères ; leur attachement à une parole pouvant leur donner un peu d’esprit critique ou plus simplement quelques critères pour avancer sur le chemin de la vie. J’ai beaucoup insisté sur le rôle de l’artiste qui fait œuvre dans le sens contraire au divertissement. Un artiste qui n’a pour seul privilège que sa solitude et un peu de temps consacré à l’observation du monde pour la transcrire avec toute son intime conviction dans sa musique ou dans ses mots.
J’ai pensé, à la lecture de ce texte de Pessoa, qu’il était plus que jamais aujourd’hui nécessaire que l’œuvre fasse acte de rébellion pour s’opposer à ce que prétendent nous dicter ces personnages égocentriques et obsédés par leur notoriété. Ceux-là même qui sont capables de porter Mozart au statut intouchable d’icône en méprisant par ailleurs les artistes de leur temps. Mozart est mort et, tant mieux pour eux car lui non plus, n’était pas si commode !
Cette œuvre est avant tout dédiée au 3000 lycéens de France qui participent à ce prix, à la famille des compositeurs vivants et à tous ceux qui, encore, leur font confiance pour porter une parole qui n’a d’autre fonction que d’être libre.