[...] les ombres de la parole les arracher du roc, les empiler en brasses tout autour du crampon dans la fosse d’eau
Paul Celan (Part de neige)
Avec mon trio Wortschatten (« ombres de parole »), 2004 j’ai essayé pour la première fois de pénétrer dans des micro-espaces sonores qui naissent de la combinaison d’une expression très dense rythmiquement, très irrégulière et dessinée, avec des modes de jeu produisant des sonorités « inhabituelles », comme des trémolos d’harmoniques ou le son strident d’un sforzato sul ponticello. Dans mon idée, les impulsions d’énergie des instruments doivent influer sur la perception du rythme et du temps chez l’auditeur, afin de le toucher ainsi par une « expérience intense » des flux temporels formés par la musique. Dans la première partie de Wortschatten, deux flux temporels construits différemment s’opposent ainsi tout du long : l’un s’écoule continuellement, l’autre est suspendu et reste statique. Le violon et le violoncelle propulsent le discours en avant avec des phrases courtes, nerveuses, à la dynamique changeante et au sein d’un registre resserré dans le médium, alors que le piano crée uniquement des espaces de résonance harmoniques. Le dialogue timide entre les cordes et le piano s’accélère et devient plus fort, pour mener, après deux points culminants portés par le piano, vers un finale très extrême.
Les instruments ont ainsi échangé leurs rôles : les attaques courtes dans le registre grave du piano structurent un discours de plus en plus âpre et haché, alors que le violon et le violoncelle s’évanouissent peu à peu dans les registres les plus aigus ou les plus graves, ne laissant que des traces fugitives des impulsions énergiques du début
– comme des ombres portées par les mots tardifs d’une langue qui s’écrit toujours de nouveau…
Hèctor Parra, livret du Cd Kairos, 2008.