Hans Zender s'intéresse depuis toujours à l'histoire de la musique occidentale. Son œuvre présente diverses références « visibles » au passé depuis une quinzaine d'années : Dialog mit Haydn (1982), les Schubert Chöre (1986) et les Cinq Préludes de Claude Debussy (1991) ont pour ainsi dire ouvert la voie menant à son « interprétation composée » du célèbre cycle de lieder de Schubert d'après Wilhelm Müller.
Destinant sa composition à une formation orchestrale très différente des ensembles employés au XIXe siècle (avec par exemple un saxophone soprano, un accordéon, un harmonica, une machine à vent, une guitare, une percussion très abondante), le musicien a qualifié de « transformation créatrice » son traitement du chef-d'œuvre schubertien : « Ma propre lecture du Voyage d'hiver ne cherche pas une nouvelle interprétation expressive, mais elle profite systématiquement des libertés que chaque interprète s'attribue normalement de façon intuitive : ralentissement ou accélération du tempo, transposition dans d'autres tons, mise en valeur et nuancement des couleurs. A cela s'ajoutent les possibilités de « lectures » : sauts à l'intérieur du texte, lignes répétées plusieurs fois, continuité interrompue, comparaison de lectures différentes d'un même passage... Dans ma version, toutes ces possibilités sont soumises à la discipline de la composition et forment ainsi des enchaînements formels qui se superposent à l'original de Schubert. La transformation du son de piano en polychromie orchestrale n'est qu'un aspect parmi beaucoup d'autres : il ne s'agit nullement d'une « coloration » unidimensionnelle, mais d'une permutation de couleurs sonores dont l'ordre est indépendant des lois formelles de la musique schubertienne. » (Notes sur mon arrangement du Voyage d'hiver, in notice du CD RCA, Ensemble Modern)
Du bruit de la machine à vent aux raffinements d'une orchestration plus traditionnelle, cette pièce souligne et commente certains passages de l'ouvrage original en créant de nouveaux rapports entre poésies et musique qui relèvent parfois du premier degré : le bruit des pas au début du n° 1 (Bonne nuit), la machine à vent dans le n° 2 (La girouette) au moment où la poésie évoque le vent, l'éloignement de certains instrumentistes dans l'espace (Feu follet, n° 9) lorsqu'il est question des « gouffres rocheux les plus profonds », etc. À cette sorte d'interprétation sonore des images poétiques s'ajoute un plan visuel, car Zender demande à diverses reprises aux musiciens de se déplacer (très lentement) d'un point à un autre : il indique dans sa partition deux autres lieux d'où la musique doit provenir : « Fernorchester I » (éloigné de l'orchestre placé sur la scène, mais encore bien visible et audible) et « Fernorchester II » (éloigné autant que possible de l'orchestre placé sur la scène, éventuellement invisible ; le son ne doit parvenir qu'indirectement). Ces déplacements des musiciens prennent souvent une dimension symbolique, directement liée au poème dans Solitude (n° 12) par exemple...
Hans Zender s'est affirmé progressivement comme l'un des compositeurs européens les plus riches du point de vue des qualités sonores ; face à la voix chantée (amplifiée dans le n° 13) ou parlée, ce Winterreise fait apparaître une très grande diversité dans les couleurs instrumentales : du trombone combiné à l'accordéon et à la caisse claire avec balais de jazz (Le déluge, n° 6) aux sonorités populaires suggérées par l'alto légèrement désaccordé et le saxophone soprano dans Le joueur d'orgue de Barbarie (n° 24), l'auditeur découvre de multiples facettes d'un orchestre traité avec beaucoup de subtilités, et éprouve peut-être, comme le souhaite Zender, la « violence existentielle de l'original » de Schubert...