Depuis Pour l'image en 1986, la musique de Philippe Hurel est marquée par la gestion d'éléments hétérogènes, a priori incompatibles, non pas sous forme de conflit dialectique, mais plutôt par un jeu sur l'ambiguïté des situations sonores. Un goût pour une cohérence musicale d'ordre structuraliste, hérité de Boulez, peut très bien cohabiter avec des principes formels et sonores issus de la musique spectrale, ou avec un phrasé mélodique et rythmique influencé par le jazz.
Dans sa nouvelle œuvre, Philippe Hurel crée un paradoxe nouveau dans son parcours : écrire une œuvre pour vibraphone soliste et ensemble de chambre, tout en s'opposant systématiquement à l'idée du concerto. L'individualité du soliste est écartée au profit d'une équivoque instrumentale : le vibraphone est souvent doublé par des instruments de nature similaire, comme le piano avec pédale ou le marimba, comme pour démultiplier sa sonorité, et les rares moments où il est entendu seul sont délibérément les moins virtuoses de la partition. La pureté de sa sonorité, tranchant d'abord avec les autres instruments, sera peu à peu détériorée par des doublures de sons inharmoniques (piano préparé, gongs), comme pour mieux l'absorber dans le timbre global de l'ensemble.
Une autre caractéristique de l'art de Philippe Hurel réside dans un réseau de relations entre les différentes œuvres, emprunts ou clins d'oeil d'une composition à l'autre. Ici la partition utilise un court extrait du récent Tombeau in memoriam Gérard Grisey, pour piano et percussion. On peut déceler d'autres références au chef de file de la « musique spectrale », certaines directes, comme l'évocation de la rythmique du début de Vortex Temporum, d'autres plus diffuses mais sans doute plus profondes, qui concernent une attitude générale vis-à-vis de la composition musicale : une volonté de dépouillement d'abord, car Hurel, souvent prolixe, incline ici vers la rareté du matériau ou la mise à nu des instruments ; une grande liberté créatrice enfin, car l'assouplissement des techniques et des systèmes que le compositeur s'imposait il y a peu, son goût de plus en plus assumé vers les formes en variation et les boucles répétitives, jusqu'alors en filigrane, la liberté dont il use à employer les matériaux et les styles les plus divers, sont autant d'éléments qui témoignent peut-être d'une nouvelle maturité de son style.
Jérôme Baillet, avec l'aimable autorisation des Editions Lemoine.