L'idée de proverb me fut initialement suggérée par le chanteur et chef de chœur Paul Hillier : il pensait à une œuvre avant tout vocale, avec six voix et deux percussions. Le résultat fut cette œuvre pour trois sopranos. deux ténors, deux vibraphones et deux orgues électriques, avec un bref texte de Ludwig Wittgenstein. Comme Paul Hillier est connu pour diriger et chanter la musique médiévale, et comme je m'intéresse aussi à cette période de la musique occidentale, j'ai cherché dans les œuvres de Pérotin des directions et des inspirations. Les trois sopranos chantent la mélodie originale du texte en canons qui augmentent graduellement, ou qui deviennent plus longs. Les deux ténors chantent des duos avec des valeurs rythmiques plus brèves, sur les notes tenues des sopranos. Les deux orgues électriques doublent les chanteurs tout au long de la pièce (à l'exception du tout début, chanté a cappella) et ajoutent les harmoniques. Les groupements métriques oscillent constamment entre deux et trois, ce qui donne aux voix un caractère de grande liberté rythmique. Après environ trois minutes exclusivement consacrées aux voix et aux orgues, les vibraphones font leur entrée : ils énoncent des groupes mobiles de deux ou trois temps.
Le thème originel des voix est inversé et passe de si mineur à mi bémol mineur : dans cette section contrastante, la ligne mélodique originellement descendante devient ascendante. La dernière partie de la pièce est un grand canon en augmentation pour les sopranos, qui font retour vers la tonalité originelle de si mineur ; pendant que ce canon se déploie lentement autour d'eux, les ténors chantent leur duos mélismatiques de manière continue. La conclusion est une brève coda qui s'achève comme la pièce avait commencé : par une soprano seule.
Si les sopranos chantent de façon syllabique, les ténors, eux, chantent de longs mélismes. L'influence de Pérotin s'entend de manière particulièrement évidente dans ces duos de ténors face aux sopranos : ils évoquent clairement l'organum à trois voix. Cette même influence joue un rôle plus indirect dans les canons par augmentation des sopranos, suggérés par l'augmentation des notes tenues au ténor dans l'organum de Pérotin.
Le court texte (How small a thought it takes to fill a whole life ! «Qu'elle est petite, la pensée qui peut remplir toute une vie !») est tiré d'un recueil des écrits de Wittgenstein, intitulé Culture and Value. Ce texte-ci fut écrit en 1946. Dans le paragraphe dont cette phrase est extraite, Wittgenstein poursuit : « Si tu veux aller en profondeur, tu n'as pas à voyager bien loin ».
Steve Reich, programme du festival d'Automne à Paris 1997.