Chez Beckett, l'action de Va et Vient consiste toute entière en une navette entre trois femmes : à intervalles réguliers, celle qui occupe la position médiane quitte l'espace ; les deux autres se rapprochent et chuchotent quelque chose à son sujet, avant qu'elle ne revienne s'asseoir à l'extrémité du groupe. L'action cesse lorsque la disposition originelle a été reconstituée et inversée.
Holliger multiplie par trois les protagonistes (trois fois trois chanteuses) ; il répète trois fois l'action et fait chanter chaque groupe dans une langue différente : français, anglais et allemand. Le texte est ainsi transformé en une musique polyglotte (d'où n'émergent que rarement certains mots reconnaissables) parallèle au discours haché de Beckett, parallèle à son envahissement progressif par le silence. Dans la seconde exécution les chanteuses mangent les voyelles, les instruments répriment des sons. Dans la troisième les sons font place aux bruits, le chant est essentiellement mimé, le silence, tel la rouille, ronge peu à peu la musique. L'écriture instrumentale « n'accompagne pas » les voix ; musiques vocale et instrumentale ont été conçues dans le même geste et se déterminent l'une l'autre. S'appuyant sur les nouvelles techniques instrumentales et vocales qu'il a développées dans son œuvre, Holliger métamorphose sonorités et tessitures les unes dans les autres : les flûtes se transforment en flûtes-altos, les clarinettes deviennent clarinettes basses ou contrebasses, la musique et les voix vont de l'aigu au grave, du clair au sombre, jusqu'à ce que le silence beckettien submerge tout derrière lui.