« Une étoile existe, plus haut que tout
le reste. Celle-ci est l’étoile de l’Apocalypse.
La deuxième est celle de l’ascendant.
La troisième est celle des éléments, qui
sont quatre ; il y a donc six étoiles établies.
Outre celles-ci il y a encore une autre étoile,
l’imagination, qui donne naissance à une
nouvelle étoile et un nouveau ciel. »
Paracelse
Médecin, philosophe, théologien et alchimiste
« Le titre de mon œuvre et la citation de Paracelse placée en exergue n’ont aucun lien avec le travail de composition de l’œuvre », écrit Edgard Varèse au sujet d’Arcana, comme pour dissiper tout malentendu. En vain, du reste, puisque nombre de commentateurs et de musicologues continueront à analyser la partition au crible de cette vision astrologique du fameux alchimiste suisse de langue allemande.
En vérité, si l’alchimie a pu fournir un premier impetus à l’œuvre, dont la composition débute peu après la création d’Intégrales, à New York au printemps 1925, tout ou presque de ce que Varèse aura composé jusqu’à l’automne 1926 sera tout bonnement jeté à la poubelle. Entretemps, le compositeur est revenu à Paris. Il loge sur l’île Saint-Louis, et l’on peut suivre, presque pas à pas, l’avancée du travail via l’abondante correspondance qu’il entretient avec sa femme. Ainsi, dans une lettre datée du 9 octobre 1926, lui relate-t-il ce rêve étrange (et pénétrant ?) qu’il vient de faire :
« J’ai rêvé de deux Fanfares. J’étais sur un bateau qui tournoyait en plein océan vertigineusement en grands cercles. Au loin, on voyait un phare très haut – et tout en haut, un ange – et c’était toi – une trompette dans chaque main. Alternativement : projections de toutes couleurs – rouge – verte – jaune – bleue – et tu jouais la Fanfare n° 1 – trompette main droite.
Puis brusquement le ciel devenait incandescent, aveuglant, tu portais ta main gauche à ta bouche, et la Fanfare n° 2 éclatait. Et le bateau tournait et filait et les alternances de projections et d’incandescence devenaient plus fréquentes – intensifiées – et les Fanfares plus impatientes… et puis merde, je me suis réveillé mais ce sera quand même dans Arcanes. » Varèse pousse le vice jusqu’à transcrire musicalement ces deux fanfares que l’on croisera à plusieurs occasions au cours de la pièce – même si le matériau a évolué entre leur notation première au réveil et la version finale de la partition, révisée à plusieurs reprises, en 1931 et 1960.
Nous sommes alors en 1926. Le tout-Paris artistique bruisse du Manifeste du surréalisme publié par André Breton deux ans auparavant. Varèse, qui avait déjà suivi de loin Dada, fréquente bon nombre des acteurs les plus influents du mouvement. Et son processus créatif s’en ressent fortement.
Aussi, dans sa lettre du 25 octobre, il annonce à sa femme que ce n’est plus seulement les deux Fanfares qui seront dans Arcana, c’est toute la pièce qui en est bouleversée : « Étais arrivé à moitié, ai tout détruit et brûlé, et j’ai recommencé. » Puis encore, le 11 novembre : « Arcanes marche, ou plutôt va marcher bien. Je suis content de les avoir déchirées et d’avoir recommencé. »
Ainsi le rêve fait-il office de catalyseur à cette métaphore de l’alchimie qu’est la pièce, de ses transmutations et secrètes arcanes.
Note de programme du concert ManiFeste du 23 juin 2023 à la Maison de la Radio et de la Musique, Studio 104.