Appeler aujourd'hui une œuvre « opéra » est-il un défi ?
Oui, dans la mesure ou ce terme, avec son histoire, doit communiquer une intention qui ne coïncide pas totalement avec ce que l'on peut croire être les caractéristiques d'un opéra : l'évolution d'un nœud dramatique, la construction et/ou la résolution d'un conflit, la présence de voix solistes, de personnages musicaux/théâtraux, le tout pris en charge par une systématique musicale propre au compositeur et aux moyens de son époque. Le fait que cet opéra soit « interrompu » est sans doute un signe de subversion d'un terme très connoté.
Par ailleurs, tout compositeur, aujourd’hui, me semble redevable de la notion de « développement continu ». Cette notion nous vient du post-romantisme, de l'école de Vienne en passant par l'épuration radicale des années cinquante.
Si cette notion est commune à toute démarche compositionnelle (ce que je pense), laissons-la à son destin, un peu comme les « sériels » ont renoncé à la systématique de la série pour s'occuper plus précisément de ses conséquences.
Pour ma part, j'extrais de l'opéra une des caractéristiques qui me semble avoir fait l'objet de nombreuses spéculations. C'est justement cette notion de continuité (j'entends cohérence de l'enchaînement formel), mais cette fois-ci comme conséquence d'une intention préalable opérant une sorte de « forcing » sur un texte qui ne répond pas toujours aux manipulations artisanales.
C'est moins la tragédie d'Ajax comme « représentation de la terreur et de la pitié », telle que l'énonce Aristote dans La Poétique, que la systématique représentative du chœur antique dans les tragédies grecques en général – particulièrement le fait de ponctuer le cours du « drame », de donner une place à la réflexion « hors action », « hors personnages » (même si le désespoir peut sembler ne pas être un « réfléchi ») – qui m'ont porté intuitivement à penser une autre systématique, musicale celle-là, de manière à suggérer cette continuité malgré les « interruptions » du texte.
Il s'agissait donc d'utiliser les six parties, les six morceaux, comme une proposition d'un seul tenant, et de donner une cohérence d'une autre nature là ou n'existait « que » l'unité de représentation théâtrale du chœur.
Que l'intervention soit valide ou non, seule le dira l'impression produite : assister à deux spectacles simultanés, voir la cohérence de l'un prévaloir sur celle de l'autre, ou percevoir dans cette proposition artistique une dimension nouvelle.