Déjà dans Wiegenlied (1963), les champs de résonance délimités par la pédale, et bien souvent prolongés par la reprise muette de touches déjà enfoncées, créaient de véritables mélodies virtuelles, comme inscrites en creux dans la partition : elles n'étaient pas le résultat direct du geste positif du pianiste – la pression sur la touche –, mais elles naissaient de son action négative – le retrait du doigt.
Ce renversement dialectique de la hiérarchie interne du son instrumental prend une tournure beaucoup plus radicale dans cette pièce plus tardive qu'est Guero. Le piano y est traité comme s'il s'agissait d'un guero : avec ses ongles, et sans jamais enfoncer aucune touche, le pianiste réalise des glissandi muets, qui obéissent à des déterminations très précises ; il existe en effet plusieurs « aires de jeu » – la face frontale des touches blanches et des touches noires, leurs surfaces supérieures, les chevilles, les cordes entre les chevilles ou la bande de feutre – pour ces glissandi dont les durées, les vitesses, les intensités et les points d'appui (les « nœuds ») sont minutieusement différenciés. Et à ces sonorités fricatives, le compositeur oppose les pizzicati obtenus en traitant diverses « régions » du piano de façon percussive, ainsi que les bruits de la pédale.
En explorant ces terres arides du son, parfois à la limite du seuil d'audibilité, Lachenmann n'en recherche pourtant pas l'« exotisme » : ce travail du négatif n'est au contraire que le moment de l'antithèse au sein d'une pensée créatrice qui aspire parfois avec désespoir à se frayer, parmi les topoi de la musique instrumentale, un espace « vierge », « intact ».