Camera oscura – chambre noire – s'articule en trois « moments clos », au sein desquels Gehlhaar renonce volontairement à tout « avant » et tout « après ». Une telle démarche procède d'une idée « essentielle quant à la conception » : la visée presque idéaliste d'une structure musicale « dont tous les paramètres doivent être perçus de manière égale, avec des valeurs également significatives », et qui ne peut donc souffrir « aucune hiérarchie ». Le compositeur accepte et provoque tout à la fois les « contraintes absolument drastiques » qui découlent de ce projet : « tous les paramètres sont à traiter selon des principes identiques ; toute répétition, quelle qu'elle soit, est prohibée ».
Les trois volets de l'œuvre sont « autant de solutions distinctes » à ce problème – abolir toute référence aux vécus temporels passés et futurs – qui reste peut-être insoluble. Ces trois moments ne sont en effet pas totalement déliés de toute relation l'un à l'autre : les notes détachées des dernières mesures de l'œuvre renvoient au staccatissimo du moment central, tandis que les quelques tenues qui jalonnent celui-ci ne sont pas sans rappeler celles du premier et du troisième moment.
Toutefois, chacun de ces moments tend avec force vers son idéal de clôture exclusive. Le premier est tout entier traversé par une pédale de la qui voyage entre les instruments, et contre laquelle viennent se détacher des intonations microtonales et divers groupements de timbres travaillés en demi-teintes par l'usage des sourdines, de la voix et de différents modes de jeu et d'émission. Le second renonce à toute variation rythmique pour mieux faire ressortir les changements kaléidoscopiques des lignes mélodiques enchevêtrées, et leurs unissons fugitifs et ponctuels. Le dernier, enfin, gèle toute activité rythmique et mélodique pour tisser une chatoyante texture sur un accord de la mineur, travaillé par les décalages variables d'un crescendo et d'un mouvement de voilement du timbre.
Peter Szendy.