Opposé, de par son titre même, à toute voie prétendument naturelle, l'œuvre se veut royaume de l'artifice : règne de l'illusion ou, comme dit le compositeur, de l'« oblique » et du « labyrinthique ».
Lorsque la nature prend le visage de la tradition, la flûte est confiée au berger ; mais Antiphysis n'est pas Arcadie et le musicien congédie les faunes. La flûte qu'il façonne, « emplie de la rumeur des villes », connaît le bruit des clés, du souffle, les trémolos « serrés comme des vrilles ». Le piccolo — le soliste passe plusieurs fois de la flûte en do à la petite flûte — est utilisé pour sa stridence ; aussi sa précipitation a-t-elle parfois tout d'un « mouvement de panique ». Le rapport de la flûte à l'ensemble est libre de tout protocole. Le compositeur ne recherche aucun dialogue : tout au plus en garde-t-il les irrespectueuses interruptions mutuelles. Tantôt submergé, tantôt en dehors, le soliste se meut dans une frange imprécise de l'espace sonore1. Condamné le plus souvent à l'intermittence, il sillonne la marge jamais assignée des groupes instrumentaux volontiers opposés.
C'est donc une flûte emportée dans une exploration de timbres qui défait perpétuellement ses associations avec les batteries des trois percussionnistes, ou qui se lie aux tenues des cordes et des vents pour mieux s'en échapper : elle participe à l'harmonieuse instabilité des textures tissées d'éléments rigides et pulsés. Car ces espaces de timbres sont le fruit d'un « artifice d'écriture ». Hugues Dufourt recherche des « arrangements paradoxaux ». Par synthèse instrumentale, le compositeur crée des spectres gauchis, déformés, voire même renversés. Il choisit des registres rares et les associe contre-nature, à l'encontre de la constitution physique des sons : une disposition comme celle qui superpose une fondamentale suraigüe — le piccolo — aux variations d'un spectre inharmonique situé dans le grave — les percussions — est une anamorphose saisissante.
En son centre, l'œuvre progresse vers le bruit, faisant advenir des événements brefs et irréguliers ; pourtant, ces blocs erratiques — la flûte y est jetée sans distinction — laissent bientôt le soliste retrouver une parole singulière : il monologue, profère des « imprécations ». Soutenu par des accords aux résonances de choral (un choral de timbres), c'est avec cette prégnance nouvelle que le flûtiste conclut l'œuvre, « comme dans un balancement ».
- il est parfois traité à l'égal du second flûtiste de l'ensemble.
Peter Szendy, programme de concert du 11 avril 1991, Centre Georges-Pompidou, Grande salle.