- Informations générales
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Date de composition :
1957 - 1962
- Durée : 1 h 7 mn
- Éditeur : Universal Edition
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Livret (détail, auteur) :
Stéphane Mallarmé
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Date de composition :
1957 - 1962
- Genre
- Musique vocale et instrument(s) [1 voix de femme et orchestre]
Information sur la création
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Date :
13 janvier 1958
Lieu :Allemagne, Donaueschingen, festival, version définitive (sauf 3e Improvisation revue en 1984), avec Don, version pour grand orchestre
Interprètes :Ilse Hollweg : soprano, membres de l'Orchestre de la Radio de Hambourg (NDR), direction : Hans Rosbaud (Improvisation I et II) Orchestre du SWF Baden Baden, direction : Hans Rosbaud (pour les versions successives de Pli selon pli).
Observations
Enregistrements : Phyllis Bryn-Julson, BBC Symphony Orchestra, Pierre Boulez, 4 cds Teldec ; Halina Lukomska, BBc Symphony Orchestra, Pierre Boulez, Sony Classical, n° SMK 68335.
Titres des parties
Note de programme
Il ne serait pas surprenant que, avec le recul de l'histoire, Pli selon pli apparaisse comme le point d'aboutissement et de clôture du « premier Boulez », celui qui de 1945 à 1960 aura bouleversé les données de la pensée, de l'écriture et de l'écoute musicales plus qu'aucun compositeur de sa génération. L'œuvre imposante, d'une totale perfection logique et sensible, à la fois authentifie cette démarche qui à travers le sérialisme définit « l'œuvre ouverte », et amorce le classicisme des années à venir.
Histoire
La genèse de l'œuvre complexe, témoigne à la fois d'une incertitude et d'une ambition. On ne rappellera ici que les données sèches d'une chronologie en sept étapes :
- En 1957, Boulez compose deux improvisations sur Mallarmé, pour soprano et ensemble de percussions : Le Vierge... et Une dentelle s'abolit. Ces deux œuvres sont éditées à part et peuvent être jouées séparément sous cette forme.
- En 1959, il ajoute une 3e Improvisation « A la nue accablante tu » écrite pour soprano, petit ensemble instrumental et ample percussion.
- La même année, il commence Tombeau, sur le poème de Mallarmé également : Tombeau de M. à Verlaine. La pièce est pour soprano et grand orchestre.
- En 1960, une création de Pli selon pli présente : Don (une pièce pour piano d'après le Don du poème de Mallarmé) ; les trois Improvisations de 1957 et 1960 ; Tombeau, pour grand orchestre.
- Un remodèlement est alors effectué dès 1960 : Don devient une pièce d'orchestre avec soprano (comme Tombeau, et la Première Improvisation est revue pour équilibrer la troisième. A noter que la voix, dans les deux pièces extrêmes, a un rôle essentiel mais rare. C'est cette version dont il sera fait état ici.
- En 1984, révision de l'Improvisation III. (NDR)
- En 1989, réorchestration de Don. (NDR)
Mallarmé
Le sous-titre comme le matériau poétique le soulignent : Pli selon pli est un « portrait de Mallarmé ». Le titre de l'œuvre, emprunté au sonnet Remémoration d'amis belges, évoque la cathédrale de Bruges, dont au matin la brume se levant découvre « pli selon pli la pierre veuve » : ainsi de l'œuvre musicale elle-même, qui découvre « au fur et à mesure du développement des cinq pièces, pli selon pli, un portrait de Mallarmé » (Boulez).On est tenté d'ajouter que par l'effet de synthèse de son art que cette partition semble offrir à notre écoute, Pli selon pli propose un portrait de Boulez lui-même, le plus fidèle peut-être — y compris dans ses contradictions.
Sans traiter ici de la grande question de « l'utilisation » de Mallarmé comme modèle, au sens presque mathématique du terme, de la composition musicale boulézienne, il faut avant tout noter que Pli selon pli succède dans le temps à la Troisième Sonate, qui déjà se voulait traduction sonore du Livre mallarméen. Deux données essentielles, l'ordonnancement libre des différentes parties (Trope) et l'optionnalité des parcours possibles de l'œuvre (Constellation), renvoyaient à cet idéal, inatteignable, d'une œuvre parfaite exigeant l'ajout permanent et la mobilité de ses constituants. Avec Pli selon pli, Boulez centre sa recherche mallarméenne sur les différentes solutions « en vue de l'alliance du texte poétique et de la musique », ces solutions allant « de l'inscription à l'amalgame » des deux entités l'une par l'autre ou l'une et l'autre. Les traces d'ouverture de l'œuvre, en revanche, sont moins apparentes que dans la Troisième Sonate, et se limitent à des options de permutations diverses pour certaines séquences (Don). La partition peut-être la plus accomplie de son auteur manifeste ainsi toute l'ambiguïté de son rapport à Mallarmé qui est identique à l'ambiguïté même de la démarche mallarméenne : fantasme d'ouverture et perfection de l'énonciation poétique (musicale) ; œuvre unique et inscriptions multiples des écrits (partitions) dans le temps ; œuvre infinie et limites pratiques du support, ce qui amène soit à éluder l'objet (le Livre ne sera pas réalisé), soit à « trahir » le projet (la partition est un numéro parmi d'autres dans le catalogue boulézien, c'est un disque fini dans sa discographie, une œuvre dans la contingence d'un concert). Sans doute est-ce dans ces contradictions même que réside le secret, de la fascination qu'on peut éprouver à l'étude et à l'écoute de cette musique magnifique.
Pour se repérer dans l'œuvre
Un violent accent tutti instaurateur, presque géniteur. La voix chantée ou parlée, à sa convenance, énonce sur un murmure orchestral le vers initial du court poème mallarméen (dans le Don du poème) : « Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'ldumée ! » Passée cette « page de garde », cette première pièce peut alors, pour la commodité de l'exposition, se diviser en quatre phrases successives :
Dans la première (environ 6'), trois sous-ensembles instrumentaux dialoguent d'une manière asynchronique, sur un matériau de longues tenues. Les trois groupes sont constitués (a) des bois, cors et cordes hautes, (b) d'instruments résonants, (c) de trombones et cordes basses, ainsi que des bois graves (clarinette basse, bassons). Les instruments peuvent dans une certaine mesure transiter d'un groupe à l'autre. Cette section se clôt par un long silence.
La deuxième section, inaugurée par un intervalle de triton (fa dièse-do) important dans la pièce, est une section de « temps intensifs » où les groupes instrumentaux se coordonnent davantage, jusqu'au tutti (vers la huitième minute).
Troisième section, qui voit la voix intervenir pour énoncer, à trois reprises et selon un dispositif à options, certains mots empruntés aux poèmes des trois improvisations à venir, « entrevues au futur » (Boulez).
La dernière partie, qui commence vers la onzième minute, oppose en antiphonie deux groupes orchestraux — bois, cors, harpe et percussion légère d'une part, cuivres, cordes, piano et percussion plus lourde de l'autre — selon une procédure d'enchaînements qui offre six possibilités, chacune d'entre elles se terminant toutefois de semblable façon. La pièce entière se termine sur un la comme note dominante de l'accord final, « moyenne » du triton indiqué ci-dessus.
Improvisation l : « Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui »
Ecrite pour voix de soprano et ensemble instrumental (38 musiciens, dont 8 percussionnistes), elle chante un poème qui est évocation symbolique de la difficulté de l'acte créateur pour le poète, « fantôme qu'à ce lieu son pur éclat assigne », tel le Cygne pris dans des glaces. Les quatre strophes du sonnet sont en position 1, 3, 5 et 7, suivies d'un commentaire instrumental plus ou moins développé en position 2, 4, 6 et 8. Les formations instrumentales varient à chaque pièce en construisant des symétries deux à deux. Le chant épuise les différentes nuances de l'opposition entre syllabisation (une note par syllabe : énoncés 1 et 7) et « mélismatisation » (plusieurs notes par syllabe : énoncés 3 et 5). La forme est ainsi donnée par celle-même du poème, comme d'ailleurs pour les deux autres improvisations.
Improvisation Il : « Une dentelle s'abolit »
Jean-Pierre Richard (L' Univers imaginaire de Mallarmé, Seuil, 1961, p. 262) note que le sonnet précédent (« Le vierge... ») était figure de stérilité créatrice, d'où repart ce poème-ci, bien que sa rédaction soit de vingt ans antérieure (mais il ne sera publié, et donc remanié peut-être, qu'à l'époque de celui-ci : 1887). Le mouvement du poème sera donc de passer d'un état à un autre, de la stérilité à l'éclosion, à la création, par l'entremise d'une « mandore » (une sorte de luth), à la fois forme sonore et forme matricielle. Au dernier vers de ce dernier poème du Tryptique, note encore Jean-Pierre Richard, « placé au terme d'une longue phrase hésitante, et comme volontairement diminué dans son pouvoir par tout un luxe de précautions restrictives ou conditionnelles, s'épanouit un petit mot qui n'en signifie pas moins une grande victoire : naître » (ibid, p. 264).
Cette difficulté se retrouve dans la forme même de l'lmprovisation, qui se veut toujours obéissante à la forme du sonnet et reprend l'idée d'une correspondance terme à terme entre le grand cycle (les deux quatrains) et le petit cycle (les deux tercets). Mais le système de correspondances met en jeu plusieurs paramètres qui jouent entre eux de manière à constituer une succession complexe :
- paramètres instrumentaux : la nature des nomenclatures afférentes aux différentes parties (I'lmprovisation II est restée pour petite formation : 9 instrumentistes, dont 4 percussionnistes) ;
- paramètres de vocalisation : soit en énoncés très mélismatiques (ler quatrain), soit au contraire syllabique, mais libre : la voix devant énoncer une phrase d'une seule respiration, définissant ainsi le tempo de la séquence (2e quatrain) ;
- paramètres de tempo, non organisés périodiquement : andante alla brève, lent-flexible, assez vif, vif, etc.
Cette complexité ne s'entend pas : à l'écoute, l'lmprovisation II en ses longues tenues résonantes auxquelles s'opposent souvent des interventions sèches de tels ou tels instruments, et par sa flexibilité générale et ouverte des tempos, suscite facilement une écoute fascinée. Le jeu de maracas, en particulier, sert de « refrain » ponctuant les différentes avancées du poème ; celui-ci joue le jeu d'une « dissolution de la structure poétique par une décomposition du langage verbal. La logique du texte rétrocède au deuxième plan, la voix devient une composante sonore qui s'intègre à l'orchestre » (Ivanka Stoianova).
Improvisation III : « A la nue accablante tu »
Cette troisième Improvisation étend la durée et prolonge le parti des Improvisations précédentes. Elle introduit et généralise notamment le principe de variabilité, qui s'étend aussi bien aux modèles instrumentaux qu'à l'emplacement exact des séquences chantées, au demeurant déjà optionnelles (la soprano a toujours le choix entre deux lignes de chant).
Cette variabilité, qui approche au maximum cette Improvisation de l'idéal mallarméen du Livre, ne peut être perçue à l'écoute. On ne retiendra donc ici que les points suivants :
a) Boulez ne prend du texte mallarméen (1895) que les trois premiers vers : « A la nue accablante tu / Basse de basalte et de laves / A même les échos esclaves ». Ces trois énoncés déterminent quatre interventions purement instrumentales, la première précédée d'une introduction qui voit la mise en place de différents « indicatifs », dont la voix en une longue cadence inaugurale de caractère « jubilatoire » (Stoianova).
b) L'économie des mots, la parcimonie avec laquelle ils sont donnés, distend leur occurrence, ainsi que les voyelles qu'ils portent, au point de faire disparaître toute signification audible. On est là au point extrême d'aboutissement de la forme mélismatique employée lors de la 1ere Improvisation.
c) L'importance sonore du conflit entre percussion sèche (xylophone notamment) et percussion ou instrumentation résonantes (célesta, cloches, gongs).
d) Non seulement la soliste, mais les instrumentistes aussi disposent de nombreuses possibilités de jeu, qui fait de l'ensemble de l'œuvre, telle que la coordonne le chef, un « concerto pour chef d'orchestre » — un peu à la manière dont Eclat reprendra bientôt le principe.
La dernière pièce du cycle est un grand poème orchestral où est abandonnée toute idée de variabilité. Commentaire, méditation, amplification sonore du principe duel du sonnet (quatrain/tercet), il se présente en deux parties, l'introduction de plus en plus pressante des cuivres partageant assez nettement à l'oreille les deux moments de cette méditation.
A la fin, dans une grande souplesse du tempo, la voix énonce un seul vers : Un peu profond ruisseau calomnié... commence alors une coda aux longues tenues résonantes. La voix reprend : ...la... et sur une reprise ultime des instruments, exhale le dernier mot sans le chanter : mort, au moment où un très grand tutti orchestral redonne comme note ultime l'accord même par lequel Don s'était inauguré.
Dominique Jameux, programme du Festival d'automne à Paris 1981, cycle Pierre Boulez.
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