Une ville dont les habitants sont des silhouettes fantomatiques en couleur, un pianiste-survivant qui répète obstinément le mot « erreur » , un piano-monde peuplé de tous les sons – la « géographie » sonore erronée d’une ville vidée de ses habitants.
eror emprunte son titre à un graffiti qui a fleuri sur les murs d’Athènes durant la crise financière : λάθως (láthos, erreur en grec – avec une faute d’orthographe). Spectacle multimédia, il intègre composition musicale, improvisation virtuose, performance, vidéo d’animation, street-art et technologies du son et de l’image.
eror est tendu entre deux expériences parallèles de la ville, deux absences : celle du sol qui s’est dérobé dans Paris suite aux attaques terroristes du Bataclan ; celle de la voix et du regard, dont Athènes a été privée au cours de la crise – mais la ville dont il est question n’est ni Paris, ni Athènes, ce pourrait être n’importe quelle ville. Entre ces deux tableaux, Monsieur Jacques Tati démonte son vélo, Svetlana Alexievich interroge les ombres irradiées, Paul Virilio fouille dans les décombres de l’accident de la pensée et Walter Benjamin observe les fantasmagories de l’urbs transformant le flâneur au seuil de la grande ville en acheteur dépaysé parti pour son dernier voyage, avec pour but : le nouveau.
eror s’est construit dans un processus d’échange libre et ouvert, sur un terrain volontairement instable avec le pianiste Alvise Sinivia et ne sera jamais joué deux fois à l’identique. Les gestes du pianiste sont directement liés à l’interprétation instrumentale (et parfois vocale), et sont donc la conséquence du musical et de ses nécessités : le « théâtre » est la conséquence du son. Immense objet sonnant aux timbres infinis et maîtrisés, le grand piano acoustique ou transformé, amplificateur et résonateur – rejoint le corps du pianiste en une sculpture vivante et mobile.
Une « partition d’actions et d’objets », conçue pour l’improvisation, rejoint l’écriture électroacoustique et celle de l’électronique en temps réel, cette dernière agissant tel un « masque sonore », jouet à sons ou encore générateur de matériaux sonores et spatiaux.
Figures animant un grand mural-ville, des ombres colorées défilent de la nuit au jour, dans l’espace d’une soirée pensée comme un geste unique, intégral et embrassant plusieurs disciplines artistiques, savantes ou populaires.
— «Les hommes sont réduits à faire partie d’un film documentaire monstrueux qui n’a pas de spectateurs, puisque chacun d’entre eux a son mot à dire sur l’écran . »
Theodor Adorno
ERREUR – ACCIDENT
ERREUR, subst. fém.
I. errer « aller çà et là » A. Action d’errer çà et là ; parcours sinueux et imprévisible. B. Illusion, méprise.
II. errer « s’écarter, s’éloigner de la vérité » A. Action, fait de se tromper, de tenir pour vrai ce qui est faux et inversement. B. État de celui qui se trompe. C. Faute commise en se trompant. 1. Assertion fausse, opinion qui s’écarte de la vérité généralement admise. 2. Chose fausse, erronée. 3. Action inconsidérée, contraire au bon sens, à la réflexion et imputable à l’ignorance ou à l’étourderie.
Source : Trésor de la Langue Française, Edition du CNRS
La notion d’erreur est liée à l’erreur humaine, un des facteurs les plus importants d’accident, donc de risque, dans tout secteur d’activité humaine. L’erreur peut être active (elle est le fait de l’opérateur, le coupable, et ses effets sont ressentis immédiatement) ou latente (conséquence d’un défaut de conception du système considéré : elle n’est alors pas le fait de l’opérateur, car n’est pas directement sous son contrôle).
Dans eror, il y a aussi l’idée d’accident. Un accident est plutôt un événement qui cause un dommage à un système d’activités et/ou qui perturbe ou interrompt sa bonne marche. Accident de la pensée, accident informatique...
— « accident systémique, c’est-à-dire qu’il n’est plus tellement un accident qu’un système accidentel qui se prolonge »
Paul Virilio
— « Il est certainement vrai que Tchernobyl, bien qu’accidentel au sens où personne ne l’a intentionnellement provoqué, était aussi un produit délibéré d’une culture de copinage, de paresse et de profonde indifférence envers la population en général. »
Svetlana Alexievich
GRAFFITI
eror se nourrit d’une longue recherche iconographique autour de notre civilisation du déchet, de l’accident ou encore de l’art du graffiti. L’intérêt de Georgia Spiropoulos pour le graffiti remonte à 2004, à l’occasion d’une résidence artistique à New York, et s’est développé depuis en une véritable recherche qui l’a mené à collectionner les prises de vue dans diverses villes. Pour eror, des photographies de bâtiments et de graffitis ont été utilisées comme matériau pour la vidéo d’animation afin d’accompagner le matériau principal issu de peintures et de murals (fresques) du street-artist et peintre Woozy.
Georgia Spiropoulos a également collecté du matériau sonore dans la rue, notamment divers bruits de la ville : sirènes, klaxons, voix... Ce matériau est utilisé tantôt en tant que matériau concret, donc reconnaissable, tantôt transformé, traité par l’ordinateur.
Note de programme du concert du 6 juin 2019 au Théâtre de Gennevilliers.