« Nachlese », littéralement « relire », est un terme emprunté à Goethe, lequel lui donne un sens plus vaste : celui de relecture, réinterprétation, remise en perspective. Dans chacune de ses Nachlese, Michael Jarrell revisite une idée – un geste, un matériau, un texte –, déjà utilisée dans une œuvre précédente, parfois de manière extensive, parfois à peine effleurée, pour en exploiter un potentiel laissé vierge. La série des Nachlese s’apparente à celle des Assonances – lesquelles représentent le « cahier d’esquisse » du compositeur –, mais se fait aujourd’hui plus discrète, la mention de « Nachlese » faisant office de sous-titre.
À propos de ce Nachlese Vb, cycle de lieder pour voix et ensemble, Michael Jarrell écrit : « Il y a déjà longtemps que j’ai découvert certains textes de Góngora dans l’édition bilingue de La Dogana avec des traductions magnifiques de Philippe Jaccottet. J’ai trouvé ces poèmes très riches, impossibles à réduire à une seule signification. C’est cela, à l’époque, qui m’a poussé à employer un sonnet de cet auteur dans sa langue originale et à écrire Eco pour voix et piano. Récemment, j’ai découvert une traduction allemande du même sonnet et j’ai été frappé par son interprétation tellement différente. Cela m’a donné l’idée de reprendre le texte original (et Eco) et d’y ajouter trois autres mouvements. Deux employant les traductions française et allemande, et un autre, uniquement instrumental. Quatre points de vue différents du même « objet », un peu comme lorsqu’un spectateur tourne autour d’une sculpture et découvre de nouvelles facettes, de nouvelles lectures. »
Descaminado, enfermo, peregrino en
tenebrosa noche, con pie incierto
la confusión pisando del desierto,
voces en vano dio, pasos sin tino.
Repetido latir, si no vecino,
distincto oyó de can siempre despierto,
y en pastoral albergue mal cubierto piedad halló,
si no halló camino.
Salió el sol, y entre armiños escondida,
soñolienta beldad con dulce saña
salteó al no bien sano pasajero.
Pagará el hospedaje con la vida;
más le valiera errar en la montaña,
que morir de la suerte que yo muero.
Luis de Góngora y Argote
Désorienté, malade, pèlerin,
dans la nuit sombre, d’un pas inexpert
arpentant le désordre du désert,
il erra et longtemps héla en vain.
Il ouït répété, sinon voisin,
l’aboi d’un chien à l’œil toujours ouvert
et sous un piètre et pastoral couvert
trouva pitié à défaut de chemin.
Vint le soleil et d’hermine voilée,
beauté dormeuse en tendre frénésie
assaillit l’encor faible voyageur.
Il paiera le gîte de sa vie:
mieux eût valu en la montagne errer
que de mourir de la sorte que je meurs.
Traduction française de Philippe Jaccottet, dans Treize sonnets et un fragment, Genève, La Dogana, 1985, p. 17.
Weglos und krank in finstrer Nacht
mit unsicherem Fuss
die Wirre des Ödlands betretend,
rief er ins Leer weglos.
Wiederholtes Bellen wenngleich fern,
vernahm er deutlich
und in Hirtenherberge unter schlechtem Dach
fand er Erbarmen, wenngleich er den Weg nicht fand.
Die Sonne stieg und eine Hermelin verhüllte
schlaftrunkene Schönheit in zärtliche Wut
überfiel den Wanderer in seinem Elend.
Gastfreundschaft wird er mit dem Leben bezahlen.
Besser wäre er durch das Gebirge irrt
so zu sterben wie ich sterbe.
Programme ManiFeste-2015.