Cette pièce, commandée par l’Ircam, a été réalisée dans les studios de l’institut en collaboration avec Serge Lemouton pour la réalisation informatique musicale, Frédéric Bevilacqua pour les outils d’analyse et de reconnaissance du geste ainsi qu’Emmanuel Fléty, Nicolas Leroy et Matthias Demoucron pour le système de captation du geste. Il s’agit de la création mondiale de l’œuvre.
Si je devais traduire littéralement en français le titre que j’ai donné à ce quatuor, j’écrirais « Le Cercle de ceux qui jouent des instruments à cordes frottée ». Par ce titre, mon intention est de souligner la dimension de musique de chambre de cette œuvre écrite pour des instruments à cordes mises en résonance par le frottement de l’archet.
La forme musicale de ce quatuor suit l’itinéraire d’une spirale qui s’enroule vers son centre, du cercle le plus large au cercle le plus serré, superposant ainsi trois cycles sonores. Cette structure formelle me permet de créer des sphères communes entre les cycles, que l’on entend comme des échos de mémoire du cycle précédent ou des prémices en résonance du cycle à venir. Jeu d'ambiguïtés et de métamorphoses du matériau musical qui privilégie cependant la cohérence de l’œuvre par l'exercice de la mémoire et de la perception de l'auditeur.
Ce quatuor est l’aboutissement d’une longue période de recherche à l’Ircam qui portait sur la notion de geste instrumental. Cette notion de geste est en fait plurielle dans StreicherKreis. Elle va de l’analyse du geste à l’origine du mode de jeu, jusqu’au geste musical collectif, voire le geste compositionnel. Pendant le parcours de la spirale, cette notion musicale évolue d’une énonciation successive de micro-gestes constitutifs de modes de jeux, à un geste plus global requérant la participation des quatre musiciens, en passant par une articulation de modes de jeux composés.
En formation de quatuor, l’interprétation du texte musical est soumise à l’intelligence musicale de chacun et à l’écoute réciproque et partagée des interprètes. Les quatre instruments du quatuor à cordes forment un seul corps sonore dont les éléments gestuels peuvent être particuliers à chacun et/ou communs à tous. Ce qui m’intéresse alors, c’est d’entendre, par la qualité du geste, l’interprétation donnée à ce corps sonore partagé. L’instrumentiste est l’exécutant, l’interprète du texte musical ; il me semble important qu’il puisse aussi être interprète-acteur dans le jeu des transformations de son propre son par le dispositif électroacoustique, qu’il puisse jouer aussi la partition électroacoustique que l’on entend dans les haut-parleurs.
StreicherKreis développe donc de nouveaux modes de communication et d’interaction entre instrumentistes et dispositif. C’est ce qui lui vaut ce nom particulier de « quatuor augmenté » qui s’explique par les six capteurs gestuels miniaturisés posés sur chaque archet. Ce système de captation est transmis au dispositif et permet aux instrumentistes d’interpréter en temps réel les transformations sonores selon leur geste d’archet. Ce sont les coups d’archet des instrumentistes du quatuor à cordes qui vont définir les paramètres des transformations sonores.
Nous avons élaboré un dispositif de reconnaissance et de suivi de geste permettant ainsi, de façon précise et musicale, la synchronisation entre partition instrumentale et partition électroacoustique. Ce qui sera une première. Dans le domaine de l’interaction entre instruments acoustiques et dispositif électroacoustique, StreicherKreis ouvre très certainement une nouvelle page de musique.
Le traitement électroacoustique se fait en temps réel sur le son des instrumentistes. De manière générale, je cherche à ce qu’il ne masque pas le son du quatuor mais se fonde dans l’écriture : la distance entre son instrumental et son transformé est subtile.
Dans le premier cycle de la spirale, le traitement cherche à mettre en relief le timbre et le caractère bruité lié au frottement de l’archet sur la corde. Il peut amplifier la mise en espace du quatuor, certaines caractéristiques de l’écriture comme la microtonalité ou l’exploitation des dynamiques. Chaque instrumentiste successivement transforme son propre son par son propre geste en s’appropriant les transformations et les énoncés gestuels. Dans le deuxième cycle, je travaille sur l’interaction d’un instrumentiste sur les trois autres : un des quatre interprètes transforme par son geste le son des autres. Le traitement se polarise sur certaines hauteurs et certains gestes musicaux afin de créer une dialogie entre son acoustique et électroacoustique. Dans le dernier cycle, les quatre instrumentistes transforment leur propre son mais cette fois-ci collectivement, pour recréer parallèlement une autre image sonore du quatuor.
Je tiens à remercier toute l’équipe de l’Ircam qui, tout au long de ce travail, m’a toujours soutenue. Les moyens de mise en œuvre de cette pièce ont nécessité une double approche associant recherche et création. J’ai trouvé particulièrement intéressante et riche en échanges l’évolution de ce processus singulier et ambitieux qui s’est installé sur deux ans, associant du début à la fin du processus tous les acteurs concernés par l’œuvre : chercheurs, réalisateur en informatique musicale, ingénieurs, musicologue et les quatre interprètes du Quatuor Danel.
Florence Baschet.