Jean-Claude Risset (1938-2016)

Computer Suite from Little Boy (1968)

pour sons de synthèse réalisés par ordinateur fixés sur support deux pistes

œuvre électronique

  • Informations générales
    • Date de composition : 1968
    • Durée : 13 mn
    • Éditeur : édition du compositeur
    • Cycle : Little Boy

Information sur la création

  • Date : 29 mars 1969
    Lieu :

    États-Unis, Philadelphie, Arts Council.


Information sur l'électronique
Information sur le studio : Bell Laboratories, New Jersey, USA

Observations

Enregistrements : cd Wergo « Jean-Claude Risset », 1988, WER 2013-50 ; LP « Voice of the Computer », Decca DL710180 ; Extraits sur disque compact rétrospectif Computer Music Journal Sound Anthology, 20, 1996.

Titres des parties

1. _Vol et Compte à rebours
_

2. _Chute
_

3. Contre-Apothéose

Note de programme

Cette pièce, réalisée en 1968 aux Laboratoires Bell, est une des premières œuvres substantielles produites entièrement par ordinateur : tous les sons de la pièce ont été synthétisés à l'aide du programme MUSIC V (CF. Mathews et al., 1969).

La pièce exploite diverses expériences sur la synthèse des sons que j'ai réalisées entre 1964 et 1968, travaillant avec Max Mathews aux Bell Laboratories. Ces expériences sont décrites notamment dans mon catalogue de sons de 1969, qui présente un enregistrement de divers sons synthétisés avec les « partitions » de synthèse de ces sons : ces partitions sont à la fois des recettes de production et des description exhaustives de la microstructure des sons, de même qu'une partition décrit la combinaison de divers sons.

Dans la Suite pour ordinateur Little Boy, plusieurs instruments de musique sont simulés par ordinateur, exploitant les résultats d'expériences imitatives, notamment mon étude sur les sons cuivrés. Mais l'ordinateur a servi aussi à façonner des sons différents des sons instrumentaux. J'ai introduit dans cette pièce deux concepts importants. Tout d'abord, la structuration (in)harmonique du timbre. La synthèse permet de composer les spectres, à l'instar des accords, et de leur conférer un rôle fonctionnel et pas seulement coloriste. Une harmonie peut se prolonger dans des timbres synthétiques, et elle peut former le noyau de textures mélodiques, à travers les « analyses spectrales d'un accord » qui ouvrent la pièce. En second lieu, les sons paradoxaux, allant au delà de la gamme chromatique indéfinie de Shepard : sons descendant indéfiniment, ou montant la gamme mais finissant plus bas que le point de départ. La synthèse permet de faire surgir des illusions en construisant des structures sonores spécialement conçues pour faire jouer certains mécanismes perceptifs.

La Suite fait partie d'une musique composée pour la pièce Little Boy de Pierre Halet (Editions du Seuil, Paris 1968), musique qui comporte aussi des sections vocales et instrumentales. Le thème de la pièce est le bombardement d'Hiroshima, revécu à travers les fantasmes du pilote Eatherly. Dans la pièce, certains aspects sont très réalistes, mais d'autres indices de la mise en scène ou de la musique indiquent que l'action n'est que rêvée. Ainsi avions ou sirènes sont évoqués par la musique, mais leur simulation par synthèse sonore leur confère un caractère irréel et permet de les relier harmoniquement avec les structures musicales présentées dans les sections instrumentales et vocales.

Dans la Suite, l'action est condensée en trois volets. Au cours du premier, Vol et compte à rebours, le rêve du vol vers Hiroshima s'accompagne de textures mouvantes, que transpercent deux épisodes fugitifs (jazz, gong) puis le compte à rebours du lâcher de la bombe, scandé avec la rigueur d'un métronome. Dans le second volet, Chute, le son parcourt parmi diverses fusées les grands cercles d'une descente indéfinie : en effet le pilote s'identifie à la bombe, dont le nom de code est Little Boy, et la chute est imaginaire, dans un espace psychique sans fond. Dans le troisième volet, Contre-apothéose, des éléments antérieurs réapparaissent pour se désintégrer : le jazz-band devient rafale de mitrailleuse, la flûte et le gong se mutent en sirènes qui s'accumulent en tournoyant, puis s'effilochent en souvenir.

Les recettes de synthèse de nombre de sons de la pièce se trouvent dans mon Introductory Catalog of computer-synthesized sounds (Bell Laboratories, 1968). La seconde section de la pièce, la Chute, est commentée et visualisée à partir de l'analyse du son dans l'ouvrage de Robert Cogan, New images of musical sound, Harvard University Press, 1984, pp. 108-112. Sur les paradoxes de hauteur, cf. J.C. Risset, Paradoxes de hauteur, 7th International Congress of Acoustics, Budapest 1972, pp. 20S10 to 20S14, et Pitch and rhythm paradoxes : comments on "Auditory paradox based on fractal waveform", Journal of the Acoustical Society of America 890 (1986) pp. 961-962 Caroline Torra-Mattenklott. Illusionisme musical : Jean-Claude Risset et l'esthétique de la musique électroacoustique. Dissonance 64 (mai 2000), p. 7-9.

Le son de la bande originale a été accidentellement entaché de bruit : pour réaliser cet enregistrement, la bande a été « débruitée » par des traitements numériques réalisés par Sonic Solutions, San Francisco.

Jean-Claude Risset.