Asmarâ (op. 9), seconde période du Livre des Enchantements, est un Melt’ân pour chœur mixte a cappella. Dans la terminologie liturgique éthiopienne, le Melt’ân est la répétition, parfois abrégée, d’un même texte, chanté sur l’air d’un autre. Le Psaume 8 est une louange à Dieu créateur et ami de l’homme, mais aussi à la grandeur et à la beauté de l’homme qui s’étonne que son Créateur se soucie de lui à ce point, en lui soumettant toute sa création : « Tu l’as fait de peu inférieur à un Ange ».
Dans le contexte du Livre des Enchantements, et dans la continuité du prologue présenté précédemment, ce Melt’ân se voudrait une évocation de l’état d’innocence, avant le Péché Originel (Gn 2, 8-25). De même le pardon, la réconciliation, révèlent les formes d’existence enfantines, enfouies à l’âge adulte, qui renvoient à l’esprit des commencements, à une terre originelle inviolée, et cela jusqu’à une lointaine époque où naquirent dans la Rift Valley, en Afrique de l’Est, la conscience, la capacité de s’émerveiller, et donc la liberté, chez nos si lointains ancêtres, de se tourner vers leur Créateur pour le remercier d’exister.
Le Psaume est chanté en Ge’ez ou éthiopien liturgique. La langue éthiopienne, dérivée du sabéen, ou sud arabique, est la seule langue africaine possédant son écriture et son alphabet propre. C’est la langue des « montagnes au-delà des fleuves de Koush » dont parle Isaïe (18, 1-7), et où « vivait le peuple élancé et bronzé ».
Ces montagnes, ce pays évoqué par Isaïe, c’est l’Éthiopie, en particulier la grande Rift Valley, au bord du fleuve Omo qui se jette dans le lac Turkana, au Kenya, Asmarâ, dont le support textuel est le Psaume 8, est une paraphrase de Marc (10, 15) : « Amen, je vous le dis : quiconque n’accueille pas le royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas » ainsi qu’un hommage au grand théologien Hans Urs von Balthazar.
Jean-Louis Florentz.