Les Voix Humaines, ou comment la musique parle d'elle-même.
Quelle musique doit-on écrire? Ou plutôt, quelle attitude morale adopter vis-à-vis du système global actuel qui, sournoisement mais efficacement, a acquis la capacité d'accepter puis de spectaculariser à ses propres fins toutes les formes possibles de contestation?
Cette question est bien sûr sans réponse. Aucune forme esthétique ne peut en tant que telle façonner le politique. Elle peut au mieux fournir des constructions métaphoriques provisoires, fragiles, dont la transmission et l'interprétation individuelle peut constituer les prémisses d'une réflexion plus générale, et, pourquoi pas, d'une action.
La musique, comme champ particulier de l'esthétique est donc, essentiellement, délégation, et c'est précisément ce thème qui est au centre du morceau.
De même qu'une voix humaine est reconnue par une personne amie, par-delà même l'emploi d'une langue étrangère qui la véhiculerait, une musique se fait reconnaître par les matériaux et les constructions sonores auxquelles elle s'identifie : des instruments connus de tous sont toutefois estompés dans leurs contours lorsque la musique, connue ou lors d'une première écoute, impose l'interprétation de son propre lexique.
J'ai composé Les Voix Humaines, pour cinq instruments, pratiquement sans aucune esquisse, sans plan clairement défini. C'est la musique elle-même que j'ai voulu faire se composer : l'identité des trois introductions possibles, composées en premier, se dilue après coup dans les moments qui suivent — j'ai ensuite décidé, contrairement à la coutume, de répartir ces différents débuts possibles dans le cours même de la pièce, un peu comme si la musique était une personne parlant d'elle-même au passé, en divers épisodes.
La métaphore centrale du morceau serait, pour l'essentiel, celle de la voix (et sans doute celle du corps, ou plus précisément de la chorégraphie, lors de la gigue qui démarque la pièce en son milieu) : la voix comme instrument, la voix comme identité (et elle devient alors proprement humaine), et, enfin, la voix comme instrument de l'identité. C'est à ce moment seulement que le musical et le politique peuvent dialoguer, et que la musique peut tenter d'exprimer son temps.
Brice Pauset, mars 2006.