La poésie de Georg Trakl est une des plus tourmentée que le XXe siècle nous ait laissé. Mais ce tourment est aux antipodes de celui des romantiques. Le Temps n’est pas celui de l’épanchement mais de la brièveté. Trakl le savait pour lui-même. Lorsqu’une image surgit, c’est pour être aussitôt engloutie dans la suivante. Le sens lui-même ne se fixe pas dans la durée. Si la couleur dominante est celle du bleu nocturne, il s’agit d’une nuit que les astres ont déserté. Quand bien même il y aurait des étoiles, elles ne renvoient qu’ « un souffle glacial ». Lorsqu’une harmonie apparaît, c’est pour aussitôt mourir dans un seul son. La poésie de Trakl annonce l’apocalypse (celui de la première guerre) mais est en même temps traversée par la nostalgie de moments qui auraient pu être heureux si seulement ils s’étaient fixés. Mais la malédiction y était omniprésente.
J’ai tenté de réunir ces quatre textes autour de quelques principes unificateurs. Devant être chantés par un chœur, ils sont tous l’expression une collectivité et non d’une individualité, cette fameuse « dépersonnalisation » voulue par Trakl lui-même comme forme universelle et non limitée. Ils sont également tous baignés dans une atmosphère nocturne. Trois d’entre eux sont également liés par des références fréquentes à des couleurs. Si la musique cherche à suivre les progressions des mouvements poétiques dans leur expression la plus directe, elle tente aussi à mettre en valeur les sonorités et les couleurs des mots. Si le sens, voire la syntaxe des textes de Trakl a pu souvent paraître hermétique, leur construction sonore possède une valeur musicale en soi. Ainsi dans le Rondel, construit ici suivant le principe d’un perpetuum mobile, le chœur se sépare en deux : une partie déroule le texte en boucle sur une texture chuchotée, tandis que l’autre construit puis déconstruit, syllabe après syllabe, des lignes chantées. Le chœur, souvent divisé, est traité de façon très polyphonique.
Philippe Manoury.