Il y a une grande activité de recherche dans le domaine des sons électroacoustiques. J'y ai longtemps participé et y participe encore. Cela force mon imagination à considérer la musique dans une vision différente de celle que m'offre les instruments traditionnels. Cela pose de nouvelles questions quant à la façon d'envisager le « sonore » par rapport à celles qui m'ont été léguées par la tradition. Ces questions constituent le fondement même du travail de compositeur. Quel sens donner à l'harmonie ? Comment concevoir un discours mélodique ? Quelle est la place du rythme dans un tel contexte ? Cependant, c'est toujours par l'intermédiaire de haut-parleurs que le résultat de ces questions se révèle. Les haut-parleurs peuvent ce que ne peuvent pas les instruments mais les instruments, en revanche, peuvent ce que ne peuvent pas les haut-parleurs. Il ont un rayonnement acoustique qui fait défaut aux membranes électriques. Leur charme de celles-ci est ailleurs.
Les sixens sont, de ce point de vue, outre la plus grande réussite dans la création d'instruments acoustiques de notre époque, les instruments qui peuvent faire se rejoindre les préoccupations musicales les plus actuelles avec la pratique instrumentale. Il ne s'agit pas de produire des hauteurs réelles, mais des complexes de hauteurs. Les mélodies, les harmonies, les rythmes et les polyphonies deviennent des données variables qui sont à repenser suivant des catégories différentes. Rien n'est plus stimulant que d'engager une expression qui se doit d'être reformulée. Il ne s'agit pas de faire « table rase » mais de reconcevoir l'écriture à la lumière d'une réalité sonore différente. Je pense que l'on devrait maintenant se pencher sérieusement sur de telles problématiques. J'imagine très souvent qu'il y a énormément de potentialités dans la découverte d'instruments acoustiques proposant de nouvelles questions. Ce n'est pas la mort du haut-parleur – par « haut-parleur » j'entends évidemment tout le travail qui se trouve en amont – mais bien plus l'influence de celui-ci sur la lutherie acoustique qui se trouve mise en jeu.
En 1989, j'avais écrit deux sextuors de sixens dans mon cycle du Livre des claviers. Ces deux pièces sont ici refondues dans Métal, une vaste composition qui tire les conclusions et amplifie ce qui n'était qu'expérimental alors. Étant donné que les instruments ne sont pas accordés suivant une norme unique et ne donnent pas le même sons suivant qu'on les frappe piano où forte, le jeu des ressemblances, des réponses, des miroirs, des oppositions ou des polyrythmies s'en trouve fortement complexifié.
« Tout corps sonore mis en œuvre par le compositeur est un instrument de musique » a écrit prophétiquement Berlioz dans son Traité d'instrumentation. Je ne serai pas fâché si je pouvais prouver, aujourd'hui, qu'il avait diablement raison.
Philippe Manoury, Paris, 25 Juillet 1995.