Le cycle de pièces d'orchestre, est concu comme une forme symétrique. La première pièce pose les bases de la dernière, les pièces II et IV se répondant par leur caractère lent encadrent la troisième qui développe des configurations appartenant à toute les autres. Si chaque pièce est concue dans un contexte particulier, de nombreux éléments voyagent d'un mouvement à l'autre. Le traitement de l'orchestre est, de ce point de vue assez identique. Il s'agit, dans tout les cas, d'une projection d'images musicales dans différentes couches de l'orchestre devant créer des objets complexes faits de mixtures de timbres et de superpositions. Une idée ne sera que rarement présentée sous une forme unique, mais bien plus souvent comme une irisation multiple. Cette conception m'a probablement été dictée par la fréquentation constante des œuvres d'orchestre de Wagner, Debussy et Richard Strauss.
I. Court-circuit. Brève ouverture de quelques secondes. Juste pour planter le décor. Une note isolée (qui conclura tout le cycle), des textures de cordes qui prennent naissance sans encore trouver leurs véritables significations, des phrases qui s'élancent sans s'établir ... un discours en court-circuit dont certains éléments trouveront leurs places plus tard.
II. Musique nocturne. Les cordes divisées en deux groupes : de larges et lents accords (sans vibrato ni sourdine) formant une trame ininterrompue, une musique plus active (avec vibratos et sourdines) venant commenter, contredire, s'opposer ou déborder l'autre. Parfois des séquences apparaissent de manière fugitive comme si elles existaient avant et se continuaient ensuite et dont on en entendrait qu'un bref extrait. Les images sonores se démultiplent simultanément dans différents groupes orchestraux sans que l'on devine clairement leurs contours exacts, percues comme « dans l'obscurité ».
III. Idem. Sorte de fugato incessant dans lequel une même forme se déploie. Un procédé de composition, récemment mis au point, permet de conserver les contours intacts tout en variant continuellement les détails internes. Il y a autant de présentations différentes d'une même idée que celle-ci comporte d'éléments. Une note centrale cependant tente de tout réunir, apparemment sans succès. Elle aura quand même le dernier mot.
IV. Redrum. Pièce très lente concue comme un long processus dramatique, déroulant un materiau qui lorsqu'il arrivera à son terme se rétrogadera de manière extrêmement condensée. Les couches, devenant de plus en plus polyphoniques, trouvent, à la fin une conclusion tragique dans une succession d'accords venant mettre un terme final à toute prolifération.
V. La mélodie récursive. Une mélodie se développe marquée d'arrêts irréguliers. Cette mélodie reviend toujours sur ses mêmes éléments comme renaissant d'elle-même. Des textures orchestrales, de densités variables, la commentent, la brouillent, la suivent, terminant le cycle dans la réponse que la première pièce impliquait.
Philippe Manoury.