On connaît bien par la technique de stéréophonie le phénomène des interdépendances variables des qualités d'espace et de temps, et de la puissance du son. Un signal, émis par deux sources sonores à des intensités différentes ou légèrement différées dans le temps, semble provenir davantage de la direction d'où il sonne le plus tôt et le plus fort. On le localise au centre si l'écoute est égale en intensité et simultanée. Mais le sujet et le problème posé par cette œuvre ne sont pas tant l'illusion de la source sonore fantomatique (d'autant plus imparfaite dans les conditions live) que la manière de produire ces leurres de la perception, et par le caractère social, intercommunicatif de la réalité. Ce qui est noté dans la partition en simultanéité et d'une égale intensité, sera perçu selon la répartition dans l'espace par l'un (un seul auditeur) en simultanéité et même intensité. Selon la position de l'auditeur, ce qui sera différé dans le temps et divers en intensité, sera perçu davantage encore espacé ou remis en simultanéité. Tous les procédés de composition utilisés ici voudraient rendre possible l'expérience que ce qu'un seul auditeur perçoit n'est pas toute la réalité, que chaque auditeur entend autre chose. La répartition des musiciens rend possible de la manière la plus simple — mais toujours modifiée — la correspondance de quatre orchestres en position cruciforme, en gradation de hauteurs, ou avec des déplacements elliptiques entre des groupes orchestraux semblables, ou encore des changements d'orientation simultanés de l'ensemble de l'orchestre. Les trois parties de « und als wir » qui se suivent sans interruption privilégient tour-à-tour quelques aspects du problème espace-temps.
Dans la première partie, ma préoccupation principale était de confronter la dimension spatiale avec celle du temps : des essaims d'événements ponctuels peuvent être perçus globalement comme des champs ou avoir des apparences mélodiques, selon qu'ils se trouvent proches dans l'espace, mais dans un mouvement lent, ou s'ils se suivent rapidement, mais dans un éloignement spatial plus grand. De plus, la résonance des pizzicati, dont les durées différentes font l'effet de mouvements dans l'espace, joue un rôle. Je m'attachais en même temps à certaines modifications surprenantes de l'espace, rendues possibles parce que les durées ne dépendent pas directement de l'intensité ou de la hauteur des sons, mais sont également tributaires de la longueur des cordes et des modes d'attaque.
La deuxième partie met au premier plan la possibilité d'exécution et de perception de pulsations régulières influencées et excitées par des sauts dans l'espace, par de larges intervalles de grandeurs différentes, par un rapport difficile entre le tempo des pulsations et la mesure fondamentale, par des déviations légères ou plus larges dans la succession des pulsations, cela même avec un mouvement spatial régulier qui paraît alors lui-même irrégulier. Il y a jusqu'à trente et un tempi différents de tous ordres, soit mélangés complètement en hauteur et dans l'espace, ou triés. Des tempi selon les registres de hauteur, selon des positions dans l'espace fixées puis mises lentement en mouvement, avec des processus de clarification ou d'opacification, tous les degrés de l'éloignement ou de la fixation dans l'espace, ou bien autant de tons que de tempi (avec des tons en communs qui agissent comme des sauts dans l'espace), etc. Là, comme partout dans cette pièce, on veut toucher, à côté de tous les degrés de déviation composables, le domaine de la différenciation qu'il n'est plus possible de noter ou d'exécuter, mais qu'on peut percevoir. La régularité réelle n'était possible que dans et à travers un mètre qui se voulait mobile.
La troisième et dernière partie met en avant l'illusion d'une orientation stable du mouvement, ce pour quoi il y a débrayage de la vitesse dans l'espace et du tempo musical. Même des événements qui objectivement ne visent aucun déroulement spatio-temporel, sont aspirés dans ce contexte et semblent en mouvement. Entre eux, tous les degrés de la netteté de la succession dans l'espace, selon que le nombre des qualités d'un son restent les mêmes à d'autres endroits, presque comme en imitation.
En conclusion, un son se met au repos par l'accélération de son déroulement dans l'espace et le mouvement se transmet même à son image négative, les silences.
Mathias Spahlinger, programme du Festival Musica 96.