Pour les soixante ans de Karlheinz Stockhausen dont il fut l'élève, Wolfgang Rihm a écrit une œuvre pour chœur et ensemble instrumental sur l'une des Illuminations d'Arthur Rimbaud : Départ. Cette pièce est écrite pour 22 musiciens, un chœur chanté et un chœur parlé (en français). Musiciens que l'on entend rarement ensemble car Rihm met beaucoup de science à les introduire peu à peu (harpe, piano, orgue, percussion peau et bois ; puis le chœur, les cuivres, les cordes et enfin les bois) sans que jamais l'on ait l'impression d'un épaississement de la matière orchestrale malgré l'augmentation du nombre des instruments, ni même d'une progression d'intensité tant les silences, les ruptures, les percussions étouffées et les pianissimi semblent ici chanter plus fort que la musique.
Lenz, Artaud, Hölderlin, Nietzsche, Rimbaud : poètes des visions, de la folie, du fragment, sont les principaux inspirateurs de l'œuvre de Wolfgang Rihm. En choisissant Départ — adieu aux rumeurs de la vie et aux visions de l'adolescence, bref poème en prose sans nostalgie où Rimbaud convoque une dernière fois ses souvenirs un an à peine avant son départ définitif, hors la poésie, vers l'Afrique — Rihm confirme encore une fois que son intérêt se porte toujours vers cet instant où la raison s'exile dans la folie et la sagesse dans l'aventure. Que sa musique, toujours en instance de rupture d'avec le néo-romantisme, est creusée par ces silences, interruptions, ces dernières rumeurs et visions avant l'absence à venir, qui en érodent les rythmes incantatoires, en aérent la trame orchestrale, suspendent cette musique entre les couleurs du passé et les sonorités futures, le déjà-entendu et l'inouï, les réminiscences et l'inconnu.
Marc Texier.