Wolfgang Rihm (1952)

Chiffre IV (1983 -1984)

pour clarinette basse, violoncelle et piano

  • Informations générales
    • Date de composition : 1983 - 1984
    • Durée : 9 mn
    • Éditeur : Universal Edition, nº UE 17877
Effectif détaillé
  • clarinette basse, violoncelle, piano

Information sur la création

  • Date : 3 février 1984
    Lieu :

    Allemagne, Hamburg


    Interprètes :

    Wolfgang Meyer : clarinette, Susanne Eychmüller : violoncelle, Bernhard Wambach : piano.

Note de programme

Sur le cycle Chiffre

Les pièces intitulées Chiffre ont été composées entre 1982 et 1985, quatre d'entre elles à la demande de l'Ensemble 13. Elles forment les parties indépendantes d'une sorte de travail en progression (work in progress), une suite de signes résonnants, la plupart du temps aux contours aigus, comme des hiéroglyphes, des caractères cunéïformes, des signes étrangers mais justement des signes dans le son De l'écriture dans le son, de la musique absolue, pas d'histoires. Le piano y est traité comme un instrument solo. C'est comme si l'attaque du piano elle-même introduisait l'écriture dans le corps sonore et décrivait l'espace sonore vide.
Wolfgang Rihm

Chiffre I

Chiffre est le titre d'une œuvre de Wolfgang Rihm, commencée en 1982 et achevée le 8 janvier 1983. Il s'agit d'une pièce écrite pour piano et ensemble instrumental. Rihm l'a dédies au pianiste Aloys Kontarsky qui a joué la partie de piano lors de la création le 22 avril 1983. L'ensemble se compose de deux bois (clarinette ou clarinette basse, basson), deux cuivres (trompette, trombone), deux violoncelles et d'une contrebasse. La pièce évolue entre le martèlement du piano d'une part (répétitions rapides, la plupart du temps dans des registres extrêmes) et les sons au souffle dynamique, les espaces de sonorité dense et les passages mélodiques des autres instruments d'autre part.

Chiffre II

Puis sont nées des pièces pour des ensembles instrumentaux analogues, dont le matériau musical faisait en partie référence à Chiffre. C'est ainsi que, dans une pièce intitulée Silence to be beaten, composée en 1983 pour l'ensemble London Sinfonietta, il résulta de l'association du piano obligé et du petit orchestre tant de points communs avec le Chiffre précédent, que le titre de Chiffre II s'imposa de lui-même. L'écriture pianistique fortement contrastée dans les deux pièces n'était pas seule à suggérer ce titre : d'autres détails de l'écriture et de l'instrumentation mettaient à jour de nombreuses parentés entre les deux pièces. Ce qui se dessinait dans la première pièce s'accentuait dans la seconde : des formes aussi concises que possible marquent le début, pour être ensuite reprises et développées en des versions plus élaborées, plus luxuriantes. (Ces formes-là, il arrive que Rihm les nomme aussi Chiffres, comme les pièces entières du même nom, et les traite comme telles).

Chiffre III

Le 7 décembre 1983, quelques jours après la création de Chiffre II à Londres, Manfred Reichert dirigea à Karlsruhe la création de Chiffre I-III avec l'Ensemble 13 : c'était pour ainsi dire le début d'un assez grand cycle, que la troisième pièce, proche en esprit de l'œuvre commandée pour Londres, précisait encore davantage. Dans ces trois premières pièces de Chiffre se manifeste une tendance accrue au renforcement de la dynamique, de l'élargissement, du passage à des formes de grands espaces qui parfois rappellent presque les techniques de la fresque. Aux motifs répétitifs qui évoquent la percussion dans la partie de piano de la première pièce répondent, dans la deuxième et la troisième pièce, des passages de percussion aux très amples crescendos et aux fortes accentuations. La seconde et la troisième pièce se distinguent de la première par l'évolution générale de leur forme — avec en outre des motifs rythmiques s'étalant largement, des contrastes violemment accentués, de forts crescendos et des lignes mélodiques aux contours fortement dessinés.

Chiffre IV

Chiffre IV, pour clarinette basse, violoncelle et piano, forme, rien que par son effectif instrumental, un contraste évident avec les pièces précédentes. Une indication technique du compositeur précise que l'interprétation doit tenter de réduire ce contraste : Il faut que les musiciens s'imaginent qu'ils jouent une pièce pour petit orchestre. Le jeu des trois instruments produit néanmoins de la musique de chambre : le tempo en est très calme, presque traînant ; la musique redémarre souvent comme en tâtonnant autour de sons isolés, d'intervalles et de plages d'accords ; elle est émaillée de réminiscences voilées à des sons isolés et des complexes sonores que l'on percevait de manière plus claire et plus tranchée dans les Chiffres précédents.

Bild (Tableau)

Le cycle Chiffre s'est développé progressivement, de pièce en pièce. Presque toutes les pièces ont d'abord été écrites et jouées séparément. L'architecture générale du cycle n'était pas délimitée dès le départ. Néanmoins, Rihm devait être parti assez tôt du principe que chaque pièce conserverait son indépendance à l'intérieur du cycle, c'est-à-dire que toutes les pièces pourraient être alignées les unes aux autres sans subir de modification (à la différence de la musique de ballet Tutuguri, composée en 1980/82, dans laquelle six pièces, d'abord écrites séparément, ont ensuite été modifiées pour être intégrées à l'architecture d'ensemble).Cependant, I'élaboration du cycle Chiffre fit naître un problème d'une autre nature : en 1984 naquit Tableau, une pièce pour piano et ensemble instrumental qui — bien que commandée pour une autre circonstance, c'est-à-dire comme musique d'accompagnement du Chien andalou, un film muet de Bunuel et Dali — se rapprochait pourtant très nettement du cycle Chiffre par son style et son instrumentation. Une note de partition, plutôt longue quand on connaît les habitudes de concision de Rihm, et que le compositeur désigne par euphémisme comme une remarque secondaire, relativise considérablement la fonction de musique d'accompagnement de cette pièce et constate par ailleurs qu'il s'agit d'une composition autonome, relevant cependant du style des Chiffres. Après une certaine hésitation, Rihm a fini par se décider à intégrer cette pièce au cycle Chiffre, tout en lui gardant son caractère autonome. Rihm, qui avait considéré l'idée d'écrire une septième et dernière pièce du cycle dans laquelle il aurait fondu Tableau, a finalement abandonné cette idée pour composer (après la conclusion de Chiffre I-IV) certes une septième pièce, mais indépendante de Tableau. Puis il a décidé de placer Tableau au centre du cycle Chiffre ; pour la création de la pièce à Francfort, on avait prévu une division du cycle en deux parties de quatre pièces chacune : Chiffre I-IV - pause - Tableau, Chiffre V-VII.

Il est certain que Tableau conserve une position particulière dans cet ensemble : certes, on trouve aussi une partie de piano obligé dans ce morceau ; mais, au contraire de ce qu'il fait dans les autres pièces du cycle, Rihm, dans la composition de celle-ci. renonce complètement au bois. La palette des timbres de cette composition pour neuf instrumentistes (trompette, cor, trombone, deux percusionnistes, piano, alto, violoncelle, contrebasse) est moins riche que dans les trois premières pièces par exemple, ou que dans la cinquième ou la septième pièce. Même la première pièce, écrite pour huit musiciens seulement et dans laquelle il n'y a pas de percussion, est plus variée et plus riche en contrastes, surtout dans le registre aigu. L'absence de percussion y est d'ailleurs moins frappante, en raison de nombreux passages de piano vivement martelés. Tableau, la pièce d'ouverture de la seconde partie du cycle serait, de par sa position particulière, celle qui se rapproche le plus de Chiffre IV, la pièce qui conclut la première partie : car là aussi manque une famille d'instruments à vent (les cuivres, cette fois).Dans les structures musicales de Tableau se manifestent cependant des relations avec d'autres parties du cycle à l'effectif instrumental plus élevé. Les trois bois et les trois instruments à cordes sont combinés de façon telle que le registre grave domine. La partie de piano s'adapte elle aussi à cette distribution des registres. Tout au long de la pièce, les longs passages de sonorités graves alternent d'ailleurs avec des éléments contrastants, c'est-à-dire avec des rythmes martelants de percussion, repris plus tard par d'autres instruments (cordes, piano), avec des accords contrastés dans les registres aigus, avec des lambeaux de mélodies qui font soudainement irruption.

Chiffre V

Dans Chiffre V, le style de la partie de piano n'est pas celui d'un instrument (quasi) solo, mais au contraire — et plus fortement encore que dans les autres Chiffres avec piano obligé — intégré à l'écriture de l'ensemble instrumental. Ce qui explique le fait que l'écriture pianistique ne fasse pas constamment usage de structures répétitives de percussion, mais qu'elle puisse au contraire s'adapter à différentes combinaisons sonores — non seulement à celle de la percussion, mais aussi à celles des bois, des cuivres, des cordes ou à des mélanges de timbres se rapprochant du son du tutti. La sonorité dense de l'ensemble instrumental n'est interrompue qu'à un seul endroit : c'est le moment où le jeu du piano se réduit à des répétitions maniaques et monotones, et où tous les autres instruments se taisent pour ne reprendre qu'au bout d'un long moment en éléments contrastés : en structures sonores à la dynamique croissante et décroissante, en lignes mélodiques, en sons isolés. La partie de piano finit par s'y adapter aussi : les motifs répétitifs effrénés passent du piano à la percussion, et parfois à la flûte et aux cordes. Après quoi la musique fait des ratés, se réduisant à des accords répétés avec insistance, puis finalement à quelques sons qui montent lentement et discrètement.

Chiffre VI

Chiffre VI est une composition écrite sur commande, que Manfred Reichert a dirigée pour la première fois le 12 avril 1985 à Karlsruhe avec l'Ensemble 13, dans le cadre des « Journées européennes de la culture ». Le sujet général de cette manifestation était « les Classiques » ; le but en était de créer une confrontation fructueuse de la tradition et du présent. Il était prévu que l'on joue dans le même concert, outre Rihm, I'octuor de Franz Schubert. Rihm en a tenu compte dans l'effectif instrumental de la pièce : quatuor à cordes ; trois instruments à vent (cor, deux bois), contrebasse. Mais le compositeur a modifié l'instrumentation de l'octuor de Schubert de manière significative : la pièce commence par une sorte d'octuor « noir » — dans un registre extrêmement grave, Rihm prescrivant l'emploi d'une clarinette basse au lieu de la clarinette et d'un contrebasson au lieu du basson. Plus tard, Rihm fait passer le clarinettiste à une clarinette en mi-bémol ; dans la dernière partie de la pièce, cet instrument produit des sons extrêmement aigus, fortement dénaturés : tout d'abord un « glissando lent et torturé », puis, après que celui-ci en est arrivé à un registre extrêmement aigu, il ne reste « plus que les sons les plus laids et les plus aigus » Vers la fin du morceau s'imposent des registres et des timbres moins extrêmes — sous la forme des clusters sobres et légèrement comprimés du quatuor à cordes.

Chiffre VII

Chiffre VII est écrit pour l'effectif de la deuxième pièce, renforcé de deux instruments. La parenté des deux pièces est soulignée par le fait que le début de la deuxième pièce est repris deux fois au début de la septième pièce. Les répétitions qui, dans les autres Chiffres, se concentrent la plupart du temps en un tempo rapide sur le piano et la percussion, dominent, dans Chiffre VII, de larges passages de l'écriture orchestrale : elles se manifestent dans divers registres, en pulsations diverses souvent même ralenties et accentuées à dessein, et dans divers groupes sonores et mélanges de timbres ; elles passent de sons isolés à des intervalles et à des assemblages d'accords dans lesquels les divers groupes d'instruments tantôt forment des contrastes, tantôt se fondent les uns dans les autres jusqu'à ce que finalement, à la fin du morceau, se constitue une grande structure de tutti qui retombe ensuite en bribes mélodiques et en fragments d'accords. Cette vaste pièce à fort effectif instrumental se présente, surtout si on la compare avec la précédente aux timbres plus noirs et moins contrastés, comme la conclusion marquante d'un cycle qui, dès ses premiers sons, témoigne, même pour Rihm, d'une écriture entièrement nouvelle. Dans le détail, dans les pièces achevées et dans le cycle complet, se présentent, dans leurs contours précis, les chiffres d'une langue musicale qui pourrait nous parler directement, sans références au passé, peut-être même sans crainte de ses propres préjugés esthétiques qui ne permettent plus de rechercher l'inconnu quand ils s'obstinent à suivre les sentiers battus.

Chiffre VIII

Chiffre VIII (1985-1987) Une sonorité sombre, poussée vers le haut par à-coups, puis de nouveau précipitée en bas. Perspective : une sculpture noire, grise, verte, quelque chose de trapu, le calme dans l'attaque, le souvenir, la révocation, I'anticipation. Rien de définitif, un espace frontalier. (Wolfgang Rihm).

Rudolf Frisius, programme du concert Rihm, 11 mai 1988, Centre Georges-Pompidou.