Cycle : « Beau soir », triptyque au couchant de Gérard Pesson.
Le triptyque est composé de deux pièces d’un théâtre nocturne pour comédiens chantants et petit orchestre – Ciel d’orage et Beau soir — reliées entre elles par un interlude non représenté pour trois voix et cinq instruments – Le Couchant.
Les deux actions — Ciel d’orage et Beau soir — peuvent être considérées comme deux variations d’une même situation : des personnages se retrouvent un soir d’été, sur une terrasse, dans un jardin du centre de la France. Ils parlent, passent d’un sujet à l’autre comme pour s’éviter, manière d’évoquer un absent. Ils sont réunis par une menace.
Soir d’été finissant – une pièce séparée du jardin par un rideau qui bat. Bruissement de la nuit. Non loin, une route où passent quelques voitures, très peu à cette heure.
Deux personnages sans épaisseur (se) parlent dans le silence. Ce qu’ils (se) disent est fragmentaire, décadré, et peut-être tout ne nous parvient-il pas. Ils écoutent à la radio des voix captivantes, de vieilles chansons, des énigmes policières qui les font trembler. Une menace pèse sur eux — l’orage qui s’approche toujours mais n’éclate jamais, qui fait aboyer les chiens. Un homme rôde autour de la maison. Il les voit sans doute, essaie de les comprendre — mais eux le voient-ils. Lui sait ce qu’il doit dire. Eux non, ils répètent. Ils fredonnent (ce qui les amuse).
Ce que dit l’homme invisible dans Ciel d’orage…
On peut entendre autrement ce qu’il semblait ne jamais lui dire, un secret, comme jadis aux rives, un secret qu’elle ne comprendrait pas, ou sa solution, ou qu’elle partage au contraire. Ils ne parlent pas de ce temps antérieur, ou n’achèvent pas, mais il les précède, alors qu’ils se trouvent empêchés même d’en dessiner — je veux dire en paroles — la substance, les contours heureux. Un lien très étroit, avec cette époque, « ces rives ». Se retrouvent-ils ? La beauté de la nuit dit-elle (ou du soir, certainement), qu’elle ne veut rapporter et lui ne veut pas la décrire, parce qu’elle en rappelle de trop lointaines, sombres déjà, et des cœurs qu’ils s’interdisent de visiter à nouveau, oui, s’interdisent. Que veut dire cette inquiétude ?
On peut dire cependant, et le dire cependant qu’ils songeraient à se quitter : ils se quittent avec regret, sans regret, le regret de ne pas le dire, la nuit, des milliers de nuits ainsi, avant la division des amours. La gravité de tant de mots qu’on ne peut entendre ou qu’ils ne citent plus indique le départ, cependant ils s’observent. En sait-on davantage. Ce n’est pas un combat, ils tentent d’équilibrer ce qui leur échappe.
L’obscurité n’est certes pas entière. Elle remarque que des mouvements se distinguent, qui lui échappent, des mouvements contradictoires. Ce qui les rapproche les éloigne de nous.
Se sont-ils déjà quittés ? Fantôme l’un de l’autre quand les rives songent — un désir abandonné, ou peut-être légèrement prolongé, mais elle n’en dit rien, et lui se tait à ce moment-là. Attester est donc en douter, et toute la lumière est là. S’ils se sont trouvés ils se retrouvent, et il faut les observer, car leur silence n’est pas le nôtre. L’été triomphe, ils doivent repartir en arrière, se perdre.
Extrait du programme du festival Musica 1990, reproduit avec l’aimable autorisation du festival.