Il est intéressant d’observer comment les différentes langues désignent l’acte de produire du son avec un instrument de musique. Le monde anglo-saxon, dont nous faisons partie dans ce cas précis, semble retenir l’aspect ludique, puisque par exemple, en France, en Allemagne, ou en Angleterre, on « joue » d’un instrument. L’espagnol, lui, appréhende plutôt le côté tactile de la chose, en « touchant » la flûte ou le violon. Quant à l’italien, il met l’accent sur le résultat obtenu : c’est ce qui « sonne » qui est important.
Trois attitudes intellectuelles différentes, trois façons de considérer un même geste (mais est-ce vraiment le même ?). J’ai décidé, dans cette œuvre pour piano, de me concentrer plutôt sur la dernière formulation, dans une « sonate » qui se cache derrière une exploration souvent contemplative du piano, et notamment de ses résonances. L’œuvre débute dans le registre suraigu qui est rarement utilisé de façon autonome, et fonctionne comme une véritable ornementation du silence. Si tous les registres seront progressivement explorés, l’élément unificateur du discours est la continuité : en effet, un battement ininterrompu parcourt la pièce, un trémolo qui rend ambigu le timbre du piano, qui tente de faire oublier les marteaux ou au contraire qui met en valeur le côté percussif de l’instrument, afin de provoquer des réactions diverses des cordes et de la table d’harmonie. A part une courte section fondée sur la juxtaposition de courtes cellules, l’œuvre, aussi virtuose soit-elle, tend plutôt vers un sentiment de lenteur, au long de ses 17 minutes durant lesquelles l’écoute prend le temps d’apprécier ce que « sonne » le pianiste.
Bruno Mantovani.