Si l'on peut parler d'« épuration » ou de « réduction du matériel » à propos de la dernière manière de Zimmermann, Stille und Umkehr en offre un exemple des plus probants. Un son – le ré – forme à lui seul le fil conducteur de cette pièce où le temps semble comme « étiré ». Proche en cela de Photoptosis pour orchestre (1968), Stille und Umkehr (Silence et retour) renvoie aussi par sa note centrale ré à la dernière scène de Die Soldaten.
Le statisme général de cette musique, renforcé par un tempo unique du début à la fin et des nuances faibles (Zimmermann exigeait un « calme extrême » dans ses indications au chef d'orchestre), fait ressortir les trois dimensions essentielles, associées à une combinaison orchestrale subtile (où apparaissent notamment une scie musicale et un accordéon). Un rythme de « blues », frappé avec la main sur la caisse claire tout d'abord, fixe l'attention sur un ostinato de huit mesures (en trois phrases entrecoupées de silences). Parallèlement, divers groupes d'instruments (les flûtes au début) énoncent de fugitives arabesques – rappelant celles du piano dans Intercomunicazione pour violoncelle et piano (1967) – aux périodes indépendantes du « blues ». À ces deux couches plus ou moins discontinues s'oppose l'élément central et perpétuel : la tenue du ré, qui est assurée par six couleurs instrumentales (simples ou composées) successives : cordes graves, troisième flûte et harpe ; flûtes, clarinette et harpe ; harpe seule, etc. Ainsi se concrétise une forme (relativement perceptible) créée par les timbres étagés sur plusieurs niveaux. Cette sensibilité de Zimmermann aux timbres, très ancienne voire même permanente chez lui, trouve l'un de ses plus beaux aboutissements dans cette œuvre d'une grande poésie sonore.
Pierre Michel, programme « Allemagne 1946 », février 1996, Cité de la Musique, Ensemble intercontemporain.