Cette pièce a été écrite pour quatre voix solistes (soprano, alto, ténor et basse), auxquelles s'ajoute une séquence quadriphonique stockée sur un support numérique, entièrement composée avec les ordinateurs et la station d'informatique musicale de l'Ircam.
Un premier pas dans la composition de l'œuvre a consisté à écrire et tout de suite enregistrer – par les mêmes chanteurs qui vont créer cette pièce – un ensemble de figures, gestes, paroles et phonèmes tirés du texte en latin De silentio du poète castillan Pedro Alfonso du XIIe siècle.
À partir de ces matériaux de base, de ces petites figures, j'ai pu construire des formes ou entités sonores plus grandes, en superposant plusieurs d'entre elles, ou bien au contraire, travailler avec des plus petites formes que la figure d'origine grâce à la division de celle-là en micro-figures.
Outre le fait que cette façon de procéder constitue un aller-retour entre le grand et le petit, les figures en question accomplissent des fonctions très différentes en raison de leur placement dans le registre à l'intérieur de la polyphonie générale.
S'ajoute à tout cela une dualité entre l'harmonie et le timbre, par laquelle j'entends qu'un certain agrégat présenté isolément, et qui à première vue a un caractère harmonique, peut aussi tout de suite changer et se montrer tout à fait immergé dans le domaine du timbre. Par le simple fait de compléter les éléments ou fréquences manquantes à cet agrégat pour qu'il puisse devenir timbre, on en vient à reconstituer une sorte de synthèse vocale créée par la superposition des différentes voix chantées ou enregistrées. On reconstitue ainsi certaines zones d'une série harmonique, en fait un modèle physique idéalement considéré dans lequel on ne peut pas opérer des transformations intimes.
Un niveau compositionnel complémentaire s'ajoute au précédent grâce aux techniques de re-synthèse d'un son permettant de travailler à l'intérieur de la voix, c'est-à-dire la reconstitution numérique de la voix grâce à l'analyse et à la transformation des paramètres qui la constituent au moyen des oscillateurs électroniques.
Cette façon de procéder me permet cette fois-ci de manipuler les composantes du son en question et de transformer sa génétique interne (son inharmonicité et/ou sa durée) à volonté, comme par exemple cela se produit dans la pièce au moment où des voix de femmes glissent de l'aigu au grave et se transforment lentement en sons d'apparence électronique.
Cela me permet de passer d'un geste inscrit dans le domaine expressif (le glissement des voix de femmes) vers une texture timbrale (son d'apparence électronique), et ce faisant aller vers le modèle idéal et enchaîner de nouveau avec la voix pure à laquelle se superpose cette même voix, mais transformée.
Tous les éléments (gestes, figures, micro-figures, trames, constitués de milliers de petits sons, de textures timbrales inharmoniques, statiques ou en mouvement), dont la source est toujours la voix constituent un palette enrichie des éléments expressifs habituels des chanteurs dont les voix sont considérablement utilisées dans toute leur potentialité et montrées dans leur moindre recoin, parfois imperceptibles compte tenu de leur subtilité.
Dès le début de la pièce, il y a une évidente volonté de mise en valeur de tous ces éléments à travers une polyphonie qui intègre aussi bien l'expression de la parole pure, les bruits, l'harmonie, la synthèse, le timbre, les durées ainsi que les différentes esthétiques de chants qui cohabitent sur un espace quadriphonique.
José Manuel López López.