«Petrouchka est décidément un chef d'oeuvre. Ils n'en ont pas : ils n'en auront jamais comme ça en Allemagne.»Ces mots de Debussy, envoyés à Diaghilev en 1917, témoignent de l'état d'esprit dans lequel le composteur, gravement maladel avait entrepris d'écrire toute une série de sonates dans l'esprit français (celui de Couperin et Rameau) : retrouver la clarté de l'expression, la grâce, la fantaisie, I'émotion non hypertrophiée.La Sonate pour violon et piano est la dernière oeuvre de ce projet. Elle fut enfantée dans la douleur - celle réelle de la maladie à son stade terminal, celle de la guerre, celle de forces créatrices déclinantes. Après une année de quasi silence, Debussy la compléta en février-mars 1917, et il trouva encore la force de la jouer lui-même avec Gaston Poulet le 5 mai de la même année (ce fut sa dernière apparition publique).
Les commentaires de Debussy, dans sa correspondance, sont aussi ambigus et amers que l'oeuvre elle-même, chargés d'un doute existentiel : «J'ai enfin terminé la Sonate pour violon et piano... Par une contradiction bien humaine, elle est pleine d'un joyeux tumulte. Défiez-vous à l'avenir des oeuvres qui paraissent planer en plein ciel, souvent elles ont croupi dans les ténèbres d'un cerveau morose. Tel le final de cette même sonate, qui passe par les plus curieuses déformations pour aboutir au jeu simple d'une idée qui tourne sur elle-même comme le serpent qui se mord la queue !» (à R. Godet en mai 1917).Et au même correspondant, un mois plus tard : «Vous qui savez lire entre les portées, vous y verrez les traces de ce Démon de la Perversité qui nous pousse à choisir justement l'idée qu'il fallait laisser... Cette sonate est intéressante à un point de vue documentaire, et comme un exemple de ce qu'un homme malade peut écrire pendant une guerre».
Programme du Festival Archipel, Genève, 20 mars 1992.