Comme dans nombre de ses œuvres, sans préambule ni « introduction », le propos s'impose d'emblée : dès la première mesure, pour chaque guitare, l'indication erstickt (étouffé) produit un effet qui plonge l'auditeur dans un monde étrange. Toutefois, nul souci d'exotisme, puisque celui-ci ne se définit d'ordinaire que face à des sonorités « normales ». Et la norme, ici, c'est le son étouffé, si bien que les rares cordes vibrant à vide revêtent un caractère d'« extra-territorialité ». Quand le rythme se fige en une polyrythmie d'impulsions régulières, l'étrangeté (l'étouffement) envahit tout l'espace musical.
C'est le moment que choisit Helmut Lachenmann pour présenter le texte, ni chanté, ni récité, mais en quelque sorte psalmodié par les deux guitaristes, sur un rythme précisément noté (on pense à l'Histoire du soldat). La conjonction des contraintes de la diction (mit völlig neutralem Ausdruck gesprochen, quasi « laut gelesen » : diction la plus neutre possible, presque « lu à haute voix ») et de la grande difficulté d'exécution (pour le jeu, une partition aux signes complexes ; pour la diction, une autre partition dont les rapports avec la première ne sont pas toujours simples), cette conjonction fait que la sonorité ambiguë des voix, tendues dans l'effort, s'intègre à l'aspect insolite du monde sonore qui s'est mis en place. « Les lois et la technique » étant ainsi « façonnés », c'est un long glissando descendant, quasi conclusif, qui accompagne le dernier paragraphe du texte.
Dann werden wir sagen... Ces mots résonnent dans l'immobilisation progressive de la musique, qui se reconstruit ensuite pas à pas, dans un univers de sonorités libérées. L'invention musicale entraîne l'auditeur dans des pages d'un extrême raffinement, s'installe parfois dans l'introspection musicale d'un geste « bloqué » et aboutit, en guise de coda, à des résonances figées de musique espagnole ; la guitare, qui se souvient de ses origines, est simplement caressée du plat de la main.
Ces extraits de Illusion and Reality de Christopher Caudwell, ainsi que la citation de Ainsi parla Zarathoustra de Nietzsche (O Mensch, gib acht), donnent une idée précise du projet musical de Helmut Lachenmann :
Weil eure Freiheit nur in einem Teil der Gesellschaft wurzelt, ist sie unvollständig. Alles Bewußtsein wird von der Gesellschaft mitgeprägt. Aber weil ihr davon nicht wißt, bildet ihr euch ein, ihr wäret frei. Diese von euch so stolz zur Schau getragene Illusion ist das Kennzeichen eurer Sklaverei. Ihr hofft, das Denken vom Leben abzusondern und damit einen Teil der menschlichen Freiheit zu bewahren. Freiheit ist jedoch keine Substanz zum Aufbewahren, sondern eine im aktiven Kampf mit den konkreten Problemen des Lebens geschaffene Kraft.
Es gibt keine neutrale Kunstwelt. Ihr müßt wählen zwischen Kunst, die sich ihrer nicht bewußt und unfrei und unwahr ist, und Kunst, die ihre Bedingungen kennt und ausdrückt. Wir werden nicht aufhören, den bürgerlichen Inhalt eurer Kunst zu kritisieren. Wir stellen die einfache Forderung an euch, das Leben mit der Kunst und die Kunst mit dem Leben in Einklang zu bringen. Wir verlangen, daß Ihr wirklich in der neuen Welt lebt und eure Seele nicht in der Vergangenheit zurücklaßt. Ihr seid noch gespalten, solange ihr es nicht lassen könnt, abgenutzte Kategorien der bürgerlichen Kunst mechanisch durcheinander zu mischen oder Kategorien anderer proletarischer Bereiche mechanisch zu übernehmen. Ihr müßt den schwierigen schöpferischen Weg gehen, die Gesetze und die Technik der Kunst neu gestalten, so daß sie die entstehende Welt ausdrückt und ein Teil ihrer Verwirklichung ist. Dann werden wir sagen...
Christopher Caudwell
|
|
Votre liberté est incomplète parce qu'elle n'est enracinée que dans une partie de la société. Toute conscience porte l'empreinte de la société. Mais comme vous n'en savez rien, vous vous imaginez libres. Cette illusion que vous arborez fièrement est la marque de votre esclavage. Vous espérez isoler la pensée de la vie afin de conserver une part de liberté humaine. Mais la liberté n'est pas une substance à préserver, elle est une force engendrée par le conflit actif avec les problèmes concrets de la vie.
Il n'y a pas d'univers artistique neutre. Il vous faut choisir entre l'art qui n'est pas conscient de lui-même, qui n'est pas libre ni vrai, et celui qui connaît ses conditions et les exprime. Nous ne cesseront pas de critiquer le contenu bourgeois de votre art. Nous vous demandons simplement d'accorder la vie et l'art et l'art et la vie. Nous exigeons que vous viviez véritablement dans un monde nouveau, sans laisser traîner votre âme dans le passé. Vous restez brisés et fendus tant que vous ne pouvez vous empêcher de mélanger mécaniquement les catégories usées de l'art bourgeois, ou de reprendre mécaniquement les catégories d'autres domaines prolétaires. Vous devez suivre le chemin ardu de la création, façonner à nouveau les lois et la technique de votre art, afin qu'il exprime le monde qui se crée et devienne une part de sa réalisation. Alors, nous dirons ...
|
François Bohy, programme du Festival d'automne à Paris, cycle Helmut Lachenmann.