L'idée
L'interaction entre le musicien et son instrument est fascinant. Sa capacité à contrôler, mélanger et doser subtilement divers modes de jeux rend le panorama sonore très étendu. Pour s’orienter, il faut des points de repères ; des étoiles dans la galaxie. L’un de ces points de repère est justement les interactions qui s’opèrent au sien même de l'instrument acoustique – comme par exemple entre le flux d'air/l’embouche et l’anche/le bec, entre la clé/le trou et le tuyau ou concrètement, modifier graduellement le couplage bocal/tuyau en jouant continuellement de l'instrument.
Inspiré par la richesse sonore que maîtrise Pierre Dutrieu, j'ai souhaité développer informatiquement un modèle physique de clarinette basse pour les sons multiples. Dans la pratique, ces sons posent un certain nombre de problèmes pour le musicien aussi bien que pour le compositeur. Chaque son multiple demande une embouchure différente, leur profil dynamique sont limités, les enchaînements sont difficiles du fait des nombreux croisement de doigts. Ils sont difficilement compatibles avec d'autres modes de jeu.
Un modèle virtuel sur ordinateur permet non seulement d'atténuer ces difficultés mais aussi, grâce au contrôle rigoureux de l'ordinateur, de diriger le modèle d'un son multiphonique vers d'autres modes de vibration (son seul, sons multiples, complétion sous-harmoniques, bifurcation du spectre). Pour moi, le choix de la méthode de synthèse a donc été motivé par des situations musicales réelles.
La modélisation d'un instrument sur ordinateur influe cependant sur ma façon très « physique » d’écrire pour un instrument acoustique. La La flexibilité de ce modèle physique temps réel, me permet de composer avec un rapport étroit entre le son virtuel et le jeu naturel du clarinettiste. Le rôle de l'instrument acoustique est donc primordial pour créer à la fois une situation riche en échanges et réaliste en terme de synthèse sonore.
La musique
Les modes de vibrations d'un instrument à anche simple sont multiples. Plutôt que de les classifier suivant leur spectre ou de leur sonorité, je les ai organisé en fonction leur interaction air/embouchure et anche/bec/tuyau. La pièce suit un parcours en trois parties ; la première étudie dans les détails la relation flux d'air/anche. La seconde s’intéresse aux résonances résultant des claquements des clés. La troisième partie se concentre sur les doigtés créant des enchaînements habiles des sons multiphoniques.
On peut considèrer cette liste de modes des jeux comme un itinéraire dans le vaste panorama sonore. La forme de la pièce pourra donc être perçue en fonction des modes de jeux et des parties de l'instrument qu'ils impliquent (anche/bec, puis clés/tuyau et enfin les doigtés). Mais il faut bien ajouter à ceci qu’il est possible d’obtenir des sonoritéssimilaires d'un bec seul et de l'instrument complet (avec un contrôle de la pression d'air/l’embouchure particulièrement adapté). Le titre de l’œuvre signifie justement cette multitude de fonctionnements d'une anche simple, qui se croisent et se mélangent. Ainsi, la pièce révèle une préférence esthétique pour des sonorités bruiteuses.
Dans cette œuvre, l'instrument à anche simple est donc doublé par son image. J’ai recherché une corrélation étroite entre le vrai et le virtuel tout en laissant volontairement en suspens la réponse à la question « qui joue quoi ? ». Pour moi une recherche artistique est une ouverture et non une fermeture.
Remerciements
Ce projet n'aurait pas été possible sans le soutien précieux de l'Ircam. Je voudrais donc remercier tout particulièrement Andrew Gerzso pour sa confiance, l'équipe acoustique musicale grâce à laquelle un modèle complet de clarinette basse (de marque Buffet crampon) a été mis en place, l'infatigable équipe de la production et Thomas Goepfer pour son engagement dans la transposition du projet de recherche artistique au concert.