Au-delà de l’anecdote de la citation beethovénienne (« Muss es sein ? » - opus 135) qui n’est vraisemblablement qu’un prétexte pour trouver un cheminement thématique, le climat général de cette œuvre confronte la sérénité au chaos. Quatre mouvements de durées très inégales développent des figures musicales violentes et inquiètes. Comme dans Yala – pour trio à cordes, écrit juste avant ce quatuor –, les phrases se heurtent pour installer un climat sauvage (accords et traits fulgurants du deuxième mouvement, Allant) ou retenu (les quinze mesures du troisième mouvement, Très lent). L’insistance sur des phrases mélodiques en quarts de tons permet de rendre une palpitation organique imprévisible de la polyphonie. Les instruments semblent rechercher la manière d’illustrer le cri d’une nature innocente, parfois terrible et imprévisible. La transformation de l’univers sonore transforme alors la vision qui nous envahit pour exprimer la conservation intacte d’une émotion violente. La progression de la forme est une désignation du sens : la musique est une architecture de l’expression. Rilke nous rappelle que les paysages ont une intensité inédite, et que c’est cette équivalence intérieure que la musique désire représenter.
Philippe Fénelon.