Protophonie 3 constitue le troisième volet d'une série d'œuvres, dans laquelle j'ai cherché à créer un langage susceptible d'une part de garantir un maximum de cohérence de tous les détails musicaux entre eux, et d'autre part d'assurer le développement des formes, qui conservent leur ambiguité propre en regard de leurs références mutuelles et de leurs potentialités d'évolution.
C'est à partir de réflexions sur la mathématique des nombres premiers que me sont apparues les perspectives d'extrapolation dans le domaine compositionnel. En effet, ces nombres premiers posent actuellement une série de problèmes non encore résolus, comme par exemple le fait qu'ils n'apparaissent pas de façon régulière. On ne connaît aucune formule permettant de les générer, alors que tous les nombres entiers en sont issus. Malgré cette individualité – au sens fort du terme – des nombres premiers, on peut toutefois relever certaines régularités dans la « modulo-arithmétique » et les lois des grandes séries dont ils relèvent. C'est cet connexité entre imprévisibilité du détail et probabilité stochastique, entre ordre et chaos, qui constitue la pierre d'achoppement de mon écriture. Les éléments sont ambigus dans leur fonctionnalité même, les processus dirigés peuvent subitement s'infléchir, se ramifier en labyrinthe ou même confiner à l'aliénation.
La disposition de la forme de Protophonie 3 tient compte de ce principe dans ses grandes lignes comme dans le détail, les 29 sections de la pièce ayant la propriété d'être interchangeables. Ces sections sont dérivées de deux cycles principaux, dans lesquels le temps est structuré par le biais d'ondes sinusoïdales différentes. Celles-ci provoquent une compression et une raréfaction du temps musical, sont distordues par les structures des nombres premiers et sont enfin distribuées en sections, au cours du processus compositionnel, par extraction d'une ambiguité de principe. En concert, ces ondes sont reconstituées par l'acte de l'interprète qui crée un espace sonore multiformel, variable à chaque exécution.
En plus de ce concept de variabilité de la forme, je me suis intéressé pendant la composition à sonder les états intermédiaires, à cette polyphonie de transitions du son au bruit, du son au son (micro-intervalles, effets de l'inflexion), au ralentissement ou l'accélération du temps, aux processus d'oscillation en début et en fin des sons, des groupes du son, des formes... Cette polyphonie de la transition décrit aussi le rapport entre le monde instrumental et les sons électroniques, puisque le son de la clarinette est transformé, par modulation variable de son spectre, en un son radicalement différent. Mais un même son est tout aussi apte à moduler des sons électroniques synthétisés par l'ordinateur en temps réel. Il en résulte une multiplicité de transitions et de mélanges potentiels. Dans l'espace enfin, grâce aux huit haut-parleurs contrôlés par les mêmes algorithmes qui régissent la synthèse additive et les modulations diverses, il est possible de réaliser des transitions du son d'un lieu à un autre.
Georg Bönn.