Apparemment, c'est un morceau en huit mouvements, puisqu'il y a sept préludes. Mais l'ensemble des préludes forme en réalité le mouvement préparatoire. L'ensemble étant assez long – plus d'une demi-heure – j'ai laissé la possibilité au chef d'orchestre de ne jouer qu'une partie des préludes et aussi d'en changer l'ordre. Ils sont, en effet, construits de telle manière que chacun d'eux peut se relier au début de l'un quelconque des autres. Ils sont d'ailleurs tous composés d'après le même schéma. Il y a quelque chose qui commence, se développe un peu, puis au moment où il devrait y avoir un point culminant, ça s'arrête. Suit alors, disons un moment de déception, et c'est la fin de chaque prélude. Il s'agit de créer une atmosphère d'attente.
La Fugue au contraire, qui est un morceau de vingt minutes, vise de façon évidente à atteindre un point culminant. Si on la compare à la fugue baroque on voit à la fois des analogies et des différences. La principale analogie est dans le traitement harmonique. Dans la fugue baroque l'écriture harmonique repose sur un contraste. Dans l'exposition et les réexpositions des thèmes la musique est harmoniquement statique au contraire, les divertissements sont des moments de modulation, d'harmonie mouvante. J'ai été amené à comparer ce contraste avec celui qui existe aussi dans la structure harmonique de ma musique. Dans les passages non mesurés, ou aléatoires, l'harmonie doit rester plus ou moins statique – en revanche la fluidité harmonique peut être atteinte lorsque la musique est dirigée selon un mètre commun.
Ce rapprochement m'a donné l'idée de construire une fugue dans laquelle l'exposition et les réexpositions des thèmes utilisent l'écriture aléatoire, tandis que les passages d'un thème à l'autre sont dirigés à battuta. Mais il existe une différence fondamentale : la polyphonie ne fait pas progresser des lignes mélodiques, mais ce qu'on pourrait appeler des tresses de lignes mélodiques, chaque tresse constituant une voix. Chaque sujet est donc constitué par une tresse de lignes mélodiques qui se ressemblent sans être identiques, et leur mouvement se fait sur le même rail. Ces sujets sont au nombre de six et sont très contrastés. Et puis il y a les divertissements, selon la terminologie baroque. Après l'exposition, il y a un très long divertissement, par exemple. Quant à la réexposition, elle consiste en échos de fragments des thèmes unis par paires ou par trois à la fois. Finalement la strette fait entendre les six thèmes simultanément, sans qu'il soit possible, bien sûr, de les discerner. Elle consiste en un tutti des treize instruments composé de fragments des thèmes entendus auparavant. Elle mène au point culminant qui, lui, introduit un élément irrationnel tout à fait nouveau. Ce point culminant précède immédiatement la coda qui, elle aussi, introduit un élément nouveau, et la fugue ne se ferme que par ses trois dernières mesures fondées sur les motifs des divertissements.
Witold Lutosławsli.