Pluton est la seconde d’un cycle d’œuvres réalisées à l’Ircam avec la collaboration scientifique du mathématicien américain Miller Puckette. Outre le fait que toutes ces œuvres se rejoignent autour de noyaux musicaux communs voyageant de pièces en pièces, elles ont surtout la caractéristique d’explorer les relations entre instruments acoustiques et systèmes informatiques en temps réel. Ce cycle comprends Jupiter pour flûte et ordinateur, Neptune pour trois percussions et ordinateur ainsi que La Partition du Ciel et de l'Enfer pour orchestre et ordinateur.
C’est à partir de Pluton que Philippe Manoury a élaboré sa conception des « partitions virtuelles », qui représente la base théorique de tout le travail qu’il a effectué à l’Ircam. Le principe en est la détection et le suivi par une machine en temps réel du jeu de l’interprète afin de pouvoir intégrer certaines données de l’interprétation à la composition. Grâce au programme Max que Miller Puckette a élaboré pour cette œuvre, l’ordinateur peut évaluer avec une très grande finesse les éléments d’interprétation du pianiste tels que les attaques, les dynamiques, le tempo, etc. Ces éléments, une fois détectés, peuvent être utilisés pour modifier soit la diffusion sonore, soit le discours musical lui-même. Ainsi, la manière dont joue le pianiste peut avoir des répercussions importantes sur la physionomie de l’œuvre. Il ne s’agit en aucun cas d’improvisation, tout étant rigoureusement noté sur la partition instrumentale, mais de prendre en compte les fluctuations incessantes qui ont été, de tout temps, le propre de tout interprète. La différence étant que les écarts de l’interprétation – tout le monde sait que personne ne joue deux fois de la même manière une œuvre – sont ici facteurs de transformation de l’œuvre elle-même. Lorsqu’on sait qu’une machine peut détecter jusqu’à cent-vingt-sept manières différentes d’attaquer une note de piano, on a une idée des possibilités offertes.
Le piano est ici environné de haut-parleurs retransmettant soit de la musique de synthèse, soit des transformations des propres sons du piano au moment ou le pianiste les produit. Le dispositif de concert comporte six sorties sonores indépendantes, permettant des processus de spatialisation sophistiqués. D’abord composé pour la machine 4X, cette œuvre a été portée à plusieurs reprises, et utilise à présent un ordinateur muni du logiciel Max.
Lors de sa création au Festival d’Avignon en 1988 par le pianiste japonais Ichiro Nodaïra, Pluton comportait quatre sections enchaînées et totalisant une durée de vingt-cinq minutes. Philippe Manoury a, depuis, considérablement étendu la forme initiale en ajoutant une dernière section qui se comporte comme un gigantesque amplification de tout le début. Dans sa version définitive, datant de 1989, Pluton comporte donc cinq sections :
1. Toccata, sorte d’introduction en force sur des notes répétées
2. Antiphonie, où, comme son nom l’indique, sont opposées des plages d’aspect contemplatif avec une seconde toccata plus active.
3. Séquences dans laquelle le piano engendre et contrôle tout l’environnement sonore.
4. Modulations ou la qualité des sons de synthèses dépendent de la manière dont le pianiste interprètera sa partition.
5. Variations, débutant par une longue cadence très virtuose du piano solo avant de s’enchaîner sur un gigantesque final représentant une excroissance de la toccata du début.
Le titre Pluton, contrairement à ce qui a souvent été dit, ne fait pas référence aux planètes mais à la mythologie gréco-latine. L’œuvre mettant en ressource de nombreux processus souterrains (car le plus souvent cachés dans la machine et non visibles sur scène), le titre fait ici référence au dieu de l’enfer et aux feux souterrains appelés feux plutoniens. Cette œuvre réalisée à l’Ircam a été composée avec la collaboration scientifique de Miller Puckette, à qui elle est dédiée, et l’assistance technique de Cort Lippe.